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Chirurgie ambulatoire, la révolution est en marche

10.05.2017

De plus en plus d’interventions sont réalisées sans que le patient doive passer la nuit à l’hôpital. Cette prise en charge raccourcie suscite un taux de satisfaction élevé à l’HNE

Moins longtemps on reste à l’hôpital, mieux c’est.» Etendu sur son lit de l’unité de chirurgie ambulatoire du site HNE-La Chaux-de-Fonds, Yvan Schwab est ravi par la perspective de pouvoir rentrer chez lui quelques heures après son opération d’une hernie inguinale programmée dans la matinée. «Lors de la consultation préopératoire, le Dr Jean-Claude Renggli m’a proposé de réaliser l’intervention en ambulatoire. Je n’ai pas hésité. L’unique condition est de ne pas être seul à la maison pendant la nuit qui suit l’intervention. Mon amie sera là. C’est une précaution au cas où cela devait saigner, par exemple.»

A son arrivée à l’hôpital sur le coup de 7h, l’informaticien des Ponts-de-Martel a été accueilli par Julie Tremblay, infirmière de l’unité. Après l’avoir emmené dans sa chambre et laissé enfiler sa chemise d’opéré, elle lui a posé les questions rituelles de la check-list préopératoire. «J’explique toujours aux patients l’échelle de la douleur et comment va se passer l’intervention, précise la soignante. Cela permet de réduire le stress, inévitable avant une opération.»

Alors que Julie Tremblay termine de marquer la zone qui sera opérée avec un marker indélébile, le Dr Renggli passe voir Yvan Schwab. Après une brève discussion, il prend la direction du bloc pour sa première intervention du jour planifiée à 8h tapante. «J’ai cinq patients qui s’enchainent, dont quatre en ambulatoire, précise le chirurgien. De manière générale, ce sont des cas plus légers qu’en stationnaire: outre les hernies, nous faisons beaucoup d’ablations de vésicule, de varices et de pose de pacemakers.»

Le développement de la chirurgie ambulatoire constitue une tendance lourde à l’échelle internationale. L’HNE a arrêté une stratégie en la matière fin 2015: la fermeture du bloc chirurgical la nuit et le week-end sur le site de La Chaux-de Fonds, le 1er juillet 2016, a permis de réaffecter des ressources en journée pour mieux occuper les infrastructures et augmenter de manière substantielle le volume d’activité. Le premier bilan tiré après six mois est positif. Le nombre d’interventions électives réalisées en 2016 s’est élevé à 1856. C’est plus que pendant l’année 2014, soit avant la fermeture des blocs la nuit, avec un total de 1754 interventions.

Le développement de l’activité ambulatoire a nécessité une réorganisation de la prise en charge chirurgicale, avec la redéfinition du parcours des patients et du fonctionnement des salles d’opération. Une unité dédiée a été crée au 5e étage du site de La Chaux-de-Fonds. «Nous avons participé activement à sa mise en place, c’était vraiment une très bonne expérience, témoigne Julie Tremblay. Cela a modifié en profondeur mon travail quotidien. Comme l’unité ferme à 20h, je ne fais plus de nuits. Après 25 ans de travail, c’est agréable de passer à autre chose. Nous avons moins de cas lourds, mais le rythme est plus intense: nous avons beaucoup de choses à faire dans un laps de temps réduit. Cela permet de rester très motivée.»

 

« J’explique toujours aux patients l’échelle de la douleur. Cela permet de réduire le stress, inévitable avant une opération »

 

Pour pouvoir rentrer chez lui, un patient doit remplir plusieurs critères: pouvoir manger, avoir des douleurs contrôlées (1-2 sur une échelle de 10), s’être levé en présence du personnel soignant et être capable d’uriner. Quand ce n’est pas possible, un transfert est organisé dans une unité stationnaire. L’infirmière souligne l’importance de l’expérience pour travailler dans une unité de chirurgie ambulatoire: «Il est important de pouvoir anticiper quand un patient ne va pas bien après une opération. Parfois c’est évident, d’autres fois beaucoup moins.»

Le Dr Renggli insiste lui aussi sur l’intérêt de disposer d’une unité spécifique: «C’est plus rationnel de regrouper les choses, que ce soit sur le plan de l’organisation ou de la qualité des soins. Avec le regroupement des cas ambulatoires sur le site de La Chaux-de-Fonds, nous avons mis en place des journées dédiées. Le chirurgien n’a pas à faire des allers et retours entre les deux sites aigus comme par le passé. Cela a entraîné une modification du profil des cas, qui sont de manière générale plus légers à La Chaux-de-Fonds et plus lourds sur le site de Pourtalès.»

 

« Avec le regroupement des cas ambulatoires à La Chaux-de-Fonds, le chirurgien n’a plus à faire des allers et retours entre les deux sites aigus »

 

Ce matin-là, Yvan Schwab est programmé en deuxième position pour la cure de hernie inguinale par laparoscopie, une technique chirurgicale peu invasive. Le chirurgien n’incise pas dans le pli de l’aine, mais opère à partir de trois petites incisions pratiquées sur l’abdomen. A l’aide d’instruments très fins, il appose un filet sur l’orifice herniaire qui sera ensuite complètement incorporé par l’organisme. Une intervention pratiquée sous anesthésie générale. «L’anesthésie a aussi dû être adaptée pour permettre une sortie précoce», souligne le praticien.

Depuis que Jean-Claude Renggli a commencé sa carrière de chirurgien hospitalier, en 1989, le métier a changé en profondeur: «A l’époque, on ne parlait pas de chirurgie ambulatoire. Pour une hernie ou une vésicule, le patient restait 3, 4 ou même 5 jours à l’hôpital. Aujourd’hui, ils viennent le matin et repartent dans l’après-midi. De manière générale, les douleurs post-opératoires sont moindres et la récupération est plus rapide. Pour le patient, le bénéfice est évident.» Le développement de la chirurgie ambulatoire permettra également de réaliser d’importantes économies, notamment en matière d’infrastructures. Selon une étude menée en 2016 par PricewaterhouseCoopers, le potentiel d’économie global pour le système de santé Suisse s’élève à un milliard de francs par an.

Pour Yvan Schwab, l’essentiel est ailleurs. Son opération s’est très bien déroulée et il a pu quitter l’hôpital en fin d’après-midi, comme cela était prévu.» J’ai passé une bonne nuit, raconte-t-il depuis son domicile. Le lendemain matin, j’ai reçu l’appel d’une infirmière de l’HNE qui venait s’assurer que tout s’était bien passé. Trois jours plus tard, je suis allé refaire le pansement. Une semaine après l’opération, je suis allé enlever les fils. Aujourd’hui, tout va bien. Normalement, je pourrais bénéficier de 30 jours d’arrêt de travail. Mais comme indépendant, je ne peux pas me le permettre. Alors je travaille, mais plus tranquillement que d’ordinaire.»

Yvan Schwab ne regrette pas d’avoir choisi de se faire opérer en ambulatoire. Il fait partie des convaincus, comme une très large partie des patients opérés sur le site de La Chaux-de-Fonds. Selon une enquête de satisfaction réalisée auprès des 461 personnes opérées entre août et décembre 2016, la note moyenne de satisfaction s’est élevée à 9.6 sur 10. Un résultat remarquable que le Dr Renggli, Julie Tremblay et leurs collègues de l’unité de chirurgie ambulatoire ont la ferme intention de consolider.

 

«Il faut des forfaits pour l’ambulatoire»

Le Dr Roland Chautems est médecin-chef à l’HNE depuis le 1er juin 2013. Formé en Suisse, aux Etats-Unis et en Belgique, il est spécialisé en chirurgie viscérale. Il a été désigné délégué tarifaire par la Société suisse de chirurgie pour négocier une nouvelle version de la structure tarifaire TarMed, qui définit la rétribution des 4500 actes réalisés en ambulatoire. Entretien

HNEmag: Le TarMed n’a pas été révisé depuis sa mise en place en 2002, sinon par voie d’ordonnance du Conseil fédéral. Comment expliquez-vous ce blocage?

Roland Chautems: Il est difficile d’aboutir quand les intérêts des différents partenaires tarifaires sont aussi différents. C’est le cas à l’interne de la FMH, entre les médecins de premiers recours et les spécialistes. Mais aussi parmi les assureurs: Curafutura et Santésuisse ne sont pas sur la même ligne. Comme il est jusqu’ici impossible de trouver un consensus qui satisfasse tout le monde, le ministre de la Santé Alain Berset est intervenu par voie d’ordonnance en 2014 puis en 2017. La première fois pour mieux rétribuer les médecins de premier recours. La seconde pour réduire la rétribution d’actes qu’il juge trop chers dans certaines disciplines (gastroentérologie, ophtalmologie et radiologie notamment). Je comprends cette volonté de réduire les coûts de la santé. Mais le TarMed représente 15% des coûts totaux de la santé et on se focalise surtout là-dessous. C’est un raccourci un peu abrupt.

- Que faut-il faire pour rendre la chirurgie ambulatoire attractive et permettre à la Suisse de rattraper son retard sur les autres pays de l’OCDE?

- Il faut que tout le monde puisse y trouver son compte! Le patient, bien sûr, mais aussi le médecin et l’hôpital qui  l’emploie. Ce n’est pas le cas aujourd’hui: les interventions stationnaires sont beaucoup mieux rétribuées que celles qui sont effectuées en ambulatoire. Le grand défi est de pouvoir faire cohabiter le TarMed avec les tarifs stationnaires (Swiss DRG). Chacun doit faire un pas vers l’autre. Sans cela on ne trouvera pas de solution durable.

- Êtes-vous favorables à l’introduction de forfaits par cas pour l’ambulatoire, sur le modèle des Swiss-DRG?

- Oui, d’ailleurs beaucoup d’intervenants actifs dans la révision du TarMed verraient d’un bon oeil l’introduction d’un tel système. C’est par exemple le cas de l’Union tarifaire, organe politique qui défend les intérêts des spécialités interventionnelles entre autres, des chirurgiens, radiologues et cardiologues. A notre sens, il faut lister les interventions les plus fréquentes réalisées en ambulatoire et définir des tarifs forfaitaires. Cela permettra de réduire le taux de prise en charge stationnaire et donc de faire des économies comme le souhaite le Conseil fédéral.

 

La Suisse mauvaise élève

Le virage ambulatoire est plus marqué dans la plupart des pays de l’OCDE. Distorsions tarifaires en question

En matière de chirurgie ambulatoire, il est difficile de trouver des chiffres récents pour comparer la situation entre les différents pays occidentaux. La dernière compilation de l’OCDE portant sur la totalité des interventions chirurgicales remonte à 2007 (voir le graphe ci-contre). Elle met en évidence l’important retard de la Suisse, qui se trouvait devant la Pologne et le Mexique, mais loin derrière le Canada, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Le taux a progressé depuis lors, mais le retard des hôpitaux suisses reste important si l’on prend en compte le taux d’interventions ambulatoires pour la cataracte et l’ablation des amygdales

Cette difficulté à changer de paradigme s’explique en partie par de mauvaises incitations tarifaires. Les coûts – tout comme la rémunération – d’une intervention en mode ambulatoire sont en effet généralement bien moins élevés que ceux d’une même intervention effectuée en milieu hospitalier. Au coeur du problème: les systèmes tarifaires pour les soins stationnaires (SwissDRG) et les soins ambulatoires (TARMED), qui rétribuent différemment les hôpitaux. Pour une même intervention, un hôpital perçoit souvent une indemnité supérieure de plusieurs milliers de francs s’il l’effectue en mode stationnaire et non ambulatoire. Chez les patients au bénéfice d’une assurance complémentaire, la différence est encore plus marquée.

D’un point de vue purement financier, les hôpitaux ont donc tout intérêt à maintenir les patients en milieu stationnaire. Dans une étude menée en 2016, PricewaterhouseCooper(PWC) estime qu’un taux d’opérations ambulatoires de 60% à 70% permettrait d’économiser un milliard de francs par an. Début avril, la «NZZ am Sonntag» a révélé que l’Office fédéral de la santé public prévoit d’ailleurs de lister une série d’interventions qui seront prises en charge par les caisses maladies uniquement si elles sont prise en charge en ambulatoire.

L’exemple des varices

L’opération de varices fait partie des interventions citées par le journal dominical. Elle est emblématique de la distorsion tarifaire actuelle: pour une prise en charge ambulatoire, un hôpital reçoit environ 2500 francs pour l’intervention, facture payée à 100% par l’assureur maladie. En stationnaire, il reçoit environ 6044 francs pour un patient assuré en division commune. L’assurance prend en charge 45%, c’est-à-dire 2720 francs. Le canton supporte les 55% restants. Une opération des varices en mode ambulatoire coûte donc 2,4 fois plus cher qu’une intervention en mode stationnaire. Pour les patients avec une assurance complémentaire (semi-privée, privée), la rémunération pour une prise en charge stationnaire peut même être jusqu’à quatre fois plus élevée.