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L’hôpital s’investit pour former la relève médicale

13.02.2020

Grâce à des partenariats avec les Universités de Lausanne et Genève, le RHNe accueille plus de 200 stagiaires médecins par an. Rencontre avec deux étudiantes de 6e année, Delphine Cibotto et Phanie Bidlingmeyer

«Le challenge, quand on est face à un patient, c’est de cibler ce qui est important. De viser juste, sans en faire trop, ni passer à côté d’un élément déterminant.» Etudiante en 6e année de médecine à Genève, Delphine Cibotto est sur le point de terminer un stage de deux mois au département de médecine du RHNe. Six semaines de travail dans les unités de soins au chevet des patients hospitalisés, deux semaines aux urgences. En binôme avec un médecin assistant, elle s’est confrontée à tout l’éventail des tâches quotidiennes : visites médicales, suivi individuel des patients, réception de résultats de laboratoire, prescription d’imagerie pour n’en citer que quelques-unes. 

«Une fois leur formation terminée, les jeunes praticiens seront plus enclins à s’établir dans la région »

«Après quelques jours de mise au courant, j’ai pu suivre un ou deux patients sans supervision directe. Je m’entretenais avec le médecin assistant ou un chef de clinique pour discuter des questions qui se posaient. Si j’estimais qu’un examen d’imagerie ou une analyse était nécessaire, je m’en référais à eux pour la validation, car les prescriptions doivent émaner d’un médecin.»

Etudiante à la faculté de Lausanne, en 6e également, Phanie Bidlingmeyer a suivi un stage en octobre 2019 au sein du département de chirurgie à Pourtalès. Un mois de formation qu’elle a trouvé dynamique : «Le travail était très diversifié, avec visites des patients à l’étage, passages au bloc opératoire, consultations pré-hospitalières et en polyclinique ambulatoire. Ce stage à Neuchâtel s’est avéré très intéressant, car on nous laissait une certaine autonomie». En tenue stérile au bloc opératoire, l’étudiante a la possibilité d’«assister le chirurgien avec certains gestes, comme tenir les écarteurs ou finir une suture. En tant que stagiaire, j’étais aux premières loges : j’ai pu suivre les interventions du début à la fin, avec les explications des médecins.»

Les étudiantes ont pu s’exercer aux examens cliniques, tout en se frottant aux complexités du métier. Des exemples ? Se familiariser avec le nom des médicaments ou utiliser les bons termes en s’entretenant avec un patient. Ou apprendre quels traitements peuvent être administrés simultanément pour des patients qui cumulent plusieurs pathologies.

L’objectif de la 6e année, entièrement dévolue à la pratique, est précisément de confronter les futurs médecins aux réalités du terrain. Les étudiants enchaînent les immersions d’un à trois mois dans divers services hospitaliers en Suisse, voire à l’étranger. Durant leurs stages, ils accompagnent en principe un médecin assistant qui leur est attribué. C’est l’occasion de se familiariser avec la prise en charge d’une personne au moment de son hospitalisation, les colloques et de découvrir, aussi, comment fonctionnent les départements.

«Même s’ils maîtrisent des éléments théoriques, les stagiaires ne savent pas encore comment gérer le patient au jour le jour. A l’université, ils ont eu des cours sur le cancer du poumon, le diabète, l’hypertension mais dans les services, ils vont découvrir les comorbidités : ils seront confrontés à des malades qui ont toutes ces pathologies à la fois», illustre le professeur Hervé Zender, chef du service de médecine sur le site de La Chaux-de-Fonds.

L’immersion à l’hôpital permet aussi aux étudiants de «se confronter aux réalités sociales de la patientèle. Comme lorsqu’un malade refuse d’être dialysé, même s’il en a besoin… Aucune faculté n’apprend aux étudiants à gérer ce type de problème». Responsable de l’encadrement des stagiaires au sein du département de médecine, Hervé Zender relève que malgré un enseignement sur les aspects relationnels plus conséquent qu’autrefois, c’est dans les services que les étudiants apprendront «à interagir avec les gens» et «comment parler à un patient de son cancer incurable».

Les services de RHNe accueillent des étudiants dès la 3e année d’études, dont le nombre est défini dans des conventions établies avec les facultés de Lausanne et Genève. Les premiers stages sont courts et ciblés puis ils se rallongent. «Jusqu’à l’ELM (enseignement au lit du malade) de 3e année, les étudiants ont été plongés dans les livres. Lors de ce stage, ils enfilent la blouse blanche pour la première fois, c’est assez génial à voir ! Mais l’expérience est aussi difficile pour eux, car ils reçoivent beaucoup d’informations en même temps», raconte le Dr Alend Saadi, qui gère depuis 2016 la formation des stagiaires pour le département de chirurgie où il a la fonction de médecin-chef. «Si on ne leur donne pas quelques stratégies, la consultation simulée avec de vrais patients peut partir dans tous les sens. On leur fournit aussi des pistes pour expliquer comment être à l’écoute du patient, sans les brusquer». Dans la grande majorité du temps, les patients sont réceptifs et acceptent volontiers de jouer le jeu.

La formation constitue l’une des missions du RHNe, qui est reconnu de niveau A pour certaines disciplines au même titre que le CHUV ou les HUG. Parmi les exigences qui en découlent figurent un voire deux cours quotidiens. Ils sont délivrés par les médecins-cadres de l’hôpital aux médecins assistants et stagiaires. Beaucoup sont d’ailleurs suivis en visio-conférence à partir des différents sites du réseau hospitalier cantonal. «Nous donnons beaucoup de formations, tant aux étudiants en médecine qu’aux médecins assistants, infirmiers ou physiothérapeutes. Cela représente un certain investissement en temps», commente le Dr Zender, «mais c’est quelque chose que nous apprécions parmi les médecins-cadres». Le Dr Alend Saadi précise que «pour chaque stage, les facultés ont établi des guidelines qui précisent ce qu’elles attendent de l’hôpital pour remplir les objectifs de formation».

Au sein des équipes, beaucoup de collaborateurs (y compris dans les secrétariats et l’administration) s’impliquent pour faire bon accueil aux étudiants de passage, à l’instar de la chirurgie qui leur fait parvenir leur planning à l’avance. Un e-mail est envoyé aux stagiaires une semaine avant leur arrivée, précisant le nom de leur futur référent, où ils trouveront leur badge. «Pour que leur séjour se passe au mieux, nous leur remettons un carnet qui explique la vie du service. Nous avons aussi décidé de leur attribuer un téléphone personnel afin qu’ils ne soient pas anonymes dans le service. On peut ainsi les appeler si on a quelque chose d’intéressant à leur montrer». Le médecin-chef ajoute que les stagiaires du département se voient également proposer systématiquement une heure de coaching individuel avec les professeurs Worreth ou Chautems.

«Outre le plaisir d’enseigner, les retombées pour l’hôpital sont indirectes, estime le Dr Zender. Les stages nous permettent de repérer les étudiants consciencieux, empathiques, fiables. Ils sont donc utiles pour recruter par la suite : un certain nombre de nos médecins assistants sont d’anciens stagiaires.» Pour sa part, le Dr Saadi observe qu’investir dans la formation permet à l’hôpital d’être attractif auprès de la relève.

«La satisfaction des stagiaires peut les inciter à revenir travailler comme médecin assistant. Au niveau du département de chirurgie, cet engagement porte d’ailleurs ses fruits : toutes les places de médecin assistant sont réservées pour les deux ans à venir.» Le médecin-chef indique qu’une fois leur formation terminée, les jeunes praticiens seront plus enclins à s’établir dans la région, «ce qui permet d’assurer la relève médicale.»

Phanie Bidlingmeyer juge très favorablement son mois passé en chirurgie. Au point d’affirmer que «si c’était à refaire, je programmerais plus de stages à Neuchâtel». Titulaire d’un master en biologie, la jeune femme qualifie la 6e de médecine d’«année extraordinaire». En plus d’être riches en enseignements, les stages – notamment les deux semaines en chirurgie vasculaire - ont éveillé son intérêt pour l’angiologie, «une spécialité de la médecine interne, qui englobe examens diagnostiques et interventions et qu’on peut pratiquer en tant qu’indépendant.»

Quant à Delphine Cibotto, qui a inclus dans son programme de 6e un mois dans un service d’urgences de Bruxelles et deux mois de médecine tropicale au Cameroun, elle envisage de se spécialiser en médecine interne par la suite. Comme pour Phanie, les stages hospitaliers sont à l’origine d’un choix qui va forcément influencer leur carrière future.

 

Le RHNe accueille 250 stagiaires médecins par an

L’institution entretient des relations étroites avec les Universités de Genève et Lausanne

Chaque année, quelque 250 étudiants en médecine viennent effectuer des stages au RHNe. Ils sont près d’une centaine à rejoindre le département de chirurgie, sur les sites de Pourtalès et de La Chaux-de-Fonds. Rien que pour les ELM (enseignement au lit du malade) inscrits au programme de 3e année, une cinquantaine de stagiaires sont accueillis chaque année. Le département de médecine, pour sa part, en reçoit 75.

Depuis 2016, entre 10 et 20 étudiants de 5e (qui viennent par deux) suivent un cours bloc de quinze jours au département de chirurgie. «Auparavant, ce cours était concentré au CHUV, à Lausanne. Mais avec l’augmentation du nombre d’étudiants, le centre universitaire n’y arrivait plus. C’est pourquoi ce module a été ouvert à des hôpitaux périphériques». Le Dr Alend Saadi ajoute qu’«après la chirurgie et la médecine, la pédiatrie du RHNe va aussi bientôt délivrer des cours blocs». D’autres stagiaires de 5e viennent de la faculté de médecine de Genève pour effectuer un stage appelé AMC de 8 semaines.

Dans les services du RHNe, les étudiants de 6e sont nombreux : la dernière année d’études médicales est dédiée aux stages. Ils viennent principalement des Universités de Genève et Lausanne. Mais selon les disponibilités des départements, des stagiaires étrangers peuvent être admis, précise le Dr Saadi. «Pour valider leur stage et vérifier qu’ils maîtrisent le français, nous leur demandons de s’inscrire en passant par les facultés de médecine de Genève ou Lausanne.»

Le RHNe entretient des liens étroits avec les facultés, notamment parce que plusieurs cadres disposent de titres académiques liés aux Universités, à l’instar des professeurs Roland Chautems, Marc Worreth (chirurgie) et du Dr Alend Saadi qui est chargé de cours. C’est aussi le cas en médecine avec les professeurs Jacques Donzé et Hervé Zender. A titre indicatif, ce dernier consacre environ 5% de son temps de travail depuis vingt ans à donner des cours sur la médecine intensive aux médecins stagiaires des HUG.

Fédéralisme oblige, les programmes diffèrent d’une université à l’autre. Chacune est libre de définir le contenu des cours qu’elle dispense. Entre Lausanne et Genève par exemple, les programmes de stages pour les étudiants de 3, 4 et 5e sont assez dissemblables. En revanche, les examens finaux écrits et pratiques sont identiques pour toutes les facultés de médecine du pays et se font simultanément.

La FMH (Fédération des médecins suisses) n’intervient donc pas dans l’élaboration du cursus universitaire. Une fois leur diplôme en poche, les médecins ont pour interlocuteur l’Institut suisse pour la formation médicale post graduée et continue (ISFM, issu de la FMH, mais indépendant). Ce ne sont plus les facultés, mais cet organe qui, à travers les sociétés de disciplines médicales, gère les spécialisations.

 

La féminisation de la médecine s’accélère

La FMH recense 16’000 femmes sur les 37’500 médecins qui exercent en Suisse

C’est à pas feutrés, dans le sillage de Marie Heim-Vögtlin (1845-1916), que les études de médecine ont commencé à s’ouvrir à la gent féminine à la fin du XIXe siècle. En se lançant dans un cursus médical à l’université de Zurich en 1868, cette pionnière avait causé un scandale national : à l’époque, il ne s’agissait pas seulement d’une première suisse, mais aussi européenne. La Suissesse a aussi été la première femme à se spécialiser (à Leipzig et Dresde) dans l’obstétrique et les maladies gynécologiques. Elle a également été la première doctoresse à ouvrir son propre cabinet médical en Suisse. Mère de deux enfants, elle a pratiqué la médecine toute sa vie.

Tout juste cent ans après la mort de Marie Heim-Vögtlin, la Fédération des médecins suisses (FMH) recense 16’000 femmes sur les 37’500 médecins qui exercent en Suisse (chiffres de 2018). Dans les facultés de médecine, les proportions s’inversent : 2923 femmes et 1745 hommes suivaient une formation bachelor en 2017. Pour la filière master, on en dénombrait respectivement 1849 et 1397. Plus on avance dans le temps, plus les femmes sont sous-représentées : elles sont majoritaires parmi les médecins assistants (58%), mais minoritaires parmi les chefs de clinique (48%), les médecins adjoints (24%) et les médecins-chefs (12,4%).

Dans un article publié par la Revue médicale suisse (2016), Omar Kherad explique pourquoi les hommes occupent la plupart des postes de cadres et de chefs de service dans les hôpitaux suisses : «Les femmes continuent de faire face à beaucoup d’obstacles pour effectuer une carrière académique ou hospitalière dans la spécialité de leur choix.» Selon lui, elles sont «trop souvent stigmatisées» face à l’éventualité d’un congé maternité. Ou alors la féminisation est abordée «à partir des problèmes qu’elle est censée soulever», installation plus tardive en cabinet et travail à temps partiel par exemple.

Malgré tout, un équilibrage est en cours. A l’échelle suisse, les femmes ont accédé à davantage de postes de cadres que leurs confrères, dans les hôpitaux du pays entre 2010 et 2015, selon l’Office fédéral de la statistique. Au sein du RHNe, la féminisation des cadres s’est notablement accrue ces neuf dernières années : la proportion de cheffes de département est passée de 12% en 2010 à 40% en 2019. Dans la catégorie des médecins-chefs, il a augmenté de 10% à 29% et parmi les médecins-chefs adjoints, de 28% à 45%. Cela situe le RHNe au-dessus des moyennes suisses en la matière.