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« C’est une plateforme pour promouvoir le don d’organes »

24.05.2018

 

Le 17 octobre 2017 , la Jeune chambre internationale de la Riviera a lancé la récolte de signatures pour son initiative populaire «Sauver des vies en favorisant le don d’organes». Elle souhaite remplacer l’actuel consentement explicite par un consentement «présumé». Chaque citoyen deviendrait automatiquement donneur à moins d’avoir exprimé explicitement le refus de donner ses organes. Ce changement dans la Constitution fédérale vise à promouvoir le don d’organes en Suisse et permettre une augmentation du nombre de donneurs. La Suisse fait figure de mauvais élève européen, avec actuellement un taux de 14 donneurs par millions d’habitants. Environ une centaine de candidats à la greffe décèdent chaque année faute d’organes disponibles et 1480 personnes sont en attente d’une greffe. Pour détailler les enjeux de cette initiative, HNE Mag est allé à la rencontre du professeur Manuel Pascual, médecin-chef de service du centre de transplantation d’organes au CHUV et directeur médical du CURT (Centre universitaire romand de transplantation). Entretien:

HNE Mag: Quels seraient les changements induits par le passage au consentement présumé?

Manuel Pascual: L’initiative propose un changement d’état d’esprit. Dans les sondages, 90% de la population suisse est favorable au don d’organes. Sur le terrain, en revanche, on constate plus de 50% de refus. Cela laisse à penser que la compréhension des enjeux n’est pas bonne. Au-delà du résultat du vote populaire futur, l’initiative constitue une plateforme pour promouvoir le don d’organes. C’est très positif. Suite à l’instauration du consentement présumé, l’Espagne a mis plusieurs années à faire augmenter le nombre de donneurs d’organes. L’enjeu du débat est de faire primer les intérêts des malades et de la société sur ceux de chaque individu. Les Suisses veulent une médecine de transplantation de qualité. Ils doivent donc logiquement comprendre qu’elle ne peut se faire sans investissements politiques, financiers et humains. 

Lorsqu’on analyse les statistiques du nombre de donneurs d’organes effectifs par rapport au nombre de donneurs potentiels, on constate que seuls 45% des donneurs potentiels sont prélevés. Comment l’explique-t-on?

Lorsque les équipes soignantes s’approchent des familles après le constat de mort cérébrale (ndlr: ce constat est un pré-requis obligatoire pour aborder la question du don d’organes), elles enregistrent un nombre élevé de refus. Lors de la perte d’un être cher, les proches ne sont souvent pas prêts à entendre une telle demande. Malheureusement, la question du don d’organes ne fait souvent pas partie des discussions familiales. Et de fait, ceux qui restent n’osent pas décider. Seuls 10% des Suisses disposent d’une carte de donneur. Dans 90% des cas, le choix est donc dans les mains des proches. Un facteur organisationnel participe à expliquer ce taux de 45% des donneurs potentiels: une partie d’entre eux ne se trouvent pas dans les hôpitaux universitaires, mais dans les services de soins intensifs des hôpitaux cantonaux ou régionaux. Il arrive que des donneurs ne soient simplement pas identifiés, par manque de personnel formé notamment, ou que leur prise en charge ne soit pas possible.

En réponse à une motion du conseiller national PLR neuchâtelois Laurent Favre, le Conseil fédéral soulignait en 2012 que le changement de régime n’a pas apporté d’amélioration significative de nombre de donneurs dans les pays qui avaient pris cette mesure. La situation est-elle différente aujourd’hui?

Ces dernières années, trois interventions parlementaires ont tenté de faire évoluer les sensibilités en faveur du don d’organes, malheureusement sans succès. En Espagne, la mobilisation était venue des médecins et de l’opinion publique. C’est grâce à ce levier que les politiciens ont pu légiférer. J’étais jeune interne à l’époque. Personne ne se doutait alors que les mesures prises allaient transformer l’Espagne en une décennie comme modèle en matière de don d’organes, avec 40 donneurs d’organes par millions d’habitants. C’est trois fois plus qu’en Suisse. Le fait que l’initiative vienne de la base renforce probablement ses chances de succès par rapport aux différentes interventions parlementaires déposées ces dernières années. Le soutien de Swisstransplant et des milieux concernés à l’initiative constitue un signal politique extrêmement important, qui se révélera peut-être décisif.

Admettons que le taux de refus soit divisé par deux. Les hôpitaux universitaires auraient-ils la capacité d’absorber l’activité de transplantations supplémentaires?

C’est une excellente question. Au début des années 2000, il y avait des discussions en vue de regrouper les transplantations à Genève et Zürich. Heureusement, le Groupe des 15 (ndlr: directions générales, directions médicales et doyens des cinq hôpitaux universitaires) a réussi à imposer le maintien d’un réseau multisite. C’est une chance car la capacité d’absorber des transplantations supplémentaires est plus forte lorsque les forces sont réparties dans plusieurs centres de transplantations. C’est d’autant plus vrai que les activités de transplantations ne se résument pas qu’à l’acte chirurgical. Elles comprennent parfois de longs séjours aux soins intensifs puis dans les services ainsi que la mobilisation d’une équipe pluridisciplinaire (anesthésistes, laboratoires spécialisés, intensivistes, etc). L’organisation actuelle devrait suffire. En cas de saturations des centres universitaires, l’activité de transplantation ne doit pas être prise en charge dans des hôpitaux non-universitaires. La complexité des prises en charge est telle que le risque pris serait trop important. Le sujet de la planification des capacités d’accueil est d’ailleurs un des thèmes abordés actuellement dans le cadre de la médecine hautement spécialisée dont fait partie la transplantation d’organes.

L’augmentation du nombre de transplantations – et donc des coûts – ne risque-t-elle pas de susciter de fortes résistances, à l’heure où l’on cherche à économiser dans le système de santé?

Les économies, par exemple dans les greffes rénales, sont réelles. Un patient qui suit une dialyse coûte environ 80 000 francs par an. Si, avec une transplantation, on évite que ce patient doive être traité par dialyse, l’économie est très importante. Le prix de la médication et la prise en charge des greffés revient huit fois moins cher, soit environ 10 000 francs par an. Ce n’est pas le seul aspect: plus de la moitié des greffés retournent au travail après avoir été transplantés alors que la majorité de personnes en liste d’attente ne sont plus aptes à exercer une activité professionnelle. Enfin, les personnes qui sont en attente d’un organe fréquentent très souvent les services hospitaliers avec parfois des séjours prolongés aux soins intensifs. Cela a un coût exorbitant. Il est important de comprendre que la médecine de transplantation n’aurait pas d’impact défavorable sur les coûts de la santé si elle devait se développer, bien au contraire. Ceci a été démontré. En Suisse, l’exercice est plus difficile, avec des systèmes de santés cantonaux et des acteurs multiples – je pense notamment aux assureurs maladies – c’est donc compliqué à analyser.

La France dispose d’un registre des refus, on peut imaginer qu’il en serait de même en suisse si l’initiative aboutissait. Qui serait en charge de ce registre et comment pourrait-on le renseigner?

Il est probable que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et Swisstransplant auraient un rôle clé dans la mise en place d’un tel registre. Pour qu’il soit utile, il faut un système d’information de la population très efficace, pour que chaque choix – favorable ou refus – soit valable. Cette information large de la population viendrait s’ajouter aux campagnes habituelles sur le don d’organes.

 

« Le changement voulu dans la Constitution ne veut pas dire que le don deviendra automatique si vous ne vous y êtes pas opposé de votre vivant »

 

Actuellement, la famille décide souvent pour le défunt. Le passage au régime du consentement présumé la priverait de cette possibilité. N’est-ce pas problématique de ne plus demander l’avis des proches dans une telle situation?

Mes collègues des pays qui connaissent déjà le consentement présumé sont catégoriques: dès le moment où la famille s’oppose au don d’organes, la procédure s’arrête et le prélèvement n’a pas lieu. Le passage du consentement explicite au consentement présumé peut en effet être problématique si on ne tient pas compte de l’avis des proches: on ne peut pas ajouter une souffrance morale à la douleur de perdre un être aimé. Selon mes collègues, l’effet bénéfique du consentement présumé est d’ouvrir d’avantage la discussion autour du don d’organes. Le changement voulu dans la Constitution fédérale ne veut pas dire que le don deviendra automatique si vous ne vous y êtes pas opposé de votre vivant. Ceci est particulièrement important à comprendre.

 

Bio express

Né à Madrid en 1961 Chef de service Centre de transplantation d’organes CHUV

Centre hospitalier universitaire vaudois UNIL

Université de Lausanne Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL

Directeur médical Centre universitaire romand de transplantation

Médecin interniste FMH et néphrologue FMH

Formation à Genève et à Harvard, Boston

Citation

« L’utopie d’aujourd’hui c’est la réalité de demain »

Jacques-Yves Cousteau