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« Il en va de la pérennité de l’Hôpital neuchâtelois »

18.05.2016

Laurent Kurth, chef du Département des finances et de la santé souligne l’importance du plan de réorganisation spatiale validé par le Conseil d’État

HNE Magazine: Le plan d’organisation spatiale proposé par le Conseil d’État reprend le plan stratégique de l’HNE. Est-ce une surprise pour vous?

Laurent Kurth: Ce n’est pas ma lecture. Le plan proposé par le Conseil d’État contient des éléments importants qui complètent le projet de l’HNE. Il prévoit en particulier le renforcement des trois policliniques régionales (Neuchâtel, Montagnes et Val-de-Travers) avec du personnel expérimenté et des prestations élargies. Ce ne seront pas des lieux pour faire des pansements, mais des lieux de prise en charge complexe. Le plan du Conseil d’État renforce la collaboration entre l’HNE et le Centre neuchâtelois de psychiatrie (CNP), avec l’intégration de prestations de psychiatrie sur le site de Pourtalès et sur le site des Montagnes. Nous avons aussi élargi l’analyse: on ne retient plus seulement le regard de l’institution centré sur ses propres besoins, mais aussi sa responsabilité et son impact sur l’organisation territoriale, la mobilité, la démographie et l’économie cantonale et régionale.

Cela donne l’impression aux partisans du maintien de deux sites aigus que tout était joué d’avance…

C’est une remarque attendue. Certains, dans le comité de pilotage, me disait qu’on allait nous dire «Tout ça pour ça». On peut aussi y lire la confirmation de la compétence des personnes qui dirigent l’HNE. Mais soyons clair: ce n’est pas du tout la même chose de simplement confirmer le choix d’une institution ou de confronter ce choix à d’autres paramètres, puis arriver à une conclusion proche. Avec le travail que nous avons réalisé depuis 12 mois, le dossier est plus solide. Il devrait convaincre le Grand Conseil, puis le peuple, que la concentration des activités n’est pas un choix, mais une nécessité étayée, mûrement analysée, qui tient compte du contexte national et des évolutions sanitaires.

L’exemple de l’hôpital de Saint-Imier revient sans cesse dans le débat: pourquoi n’est-il pas reproductible à La Chaux-de-Fonds?

Tous d’abord, l’Hôpital du Jura bernois (HJB), dont fait partie St-Imier, n’est pas un hôpital cantonal. Les patients qui ne peuvent pas être traités sur place sont redirigés vers Bienne ou l’Inselspital, tous deux dans le canton de Berne. L’HNE, lui, se trouve au sommet de la pyramide hospitalière cantonale. Comme je l’ai dit, le projet du Conseil d’État prévoit de renforcer les actuelles policliniques. Elles proposeront une grande partie des prestations qui existent à St-Imier et offriront notamment des consultations planifiées ou sans rendez-vous, des urgences (24h sur 24h et avec des lits d’observation dans les villes), un plateau technique diagnostique (IRM, radiologie, scanner, laboratoire) et des traitements ambulatoires.

Après, c’est une question de choix. Avoir deux hôpitaux du type St Imier dans le canton impliquerait une baisse importante de l’activité, et donc des emplois, et le maintien des risques à moyen terme. Cela entraînerait un affaiblissement du Haut comme du Bas et une augmentation substantielle des hospitalisations hors canton. C’est un des paradoxes de ce dossier: ceux qui imaginent maintenir des soins aigus de proximité ne peuvent concevoir de faire 20 kilomètres dans le canton mais envisagent d’en faire plus souvent 100 pour se faire soigner hors canton. 20% à 30% de l’activité de l’HNE, financée par les primes et les impôts des neuchâtelois, disparaîtrait ainsi du canton. Avec un hôpital cantonal, on a une taille critique qui permet de conserver des activités plus pointues et des spécialités.

 

« Avoir deux hôpitaux du type St-Imier dans le canton impliquerait une baisse importante de l’activité et donc des emplois »

 

Enfin, et c’est un point déterminant, un tel modèle affaiblirait considérablement le rôle formateur de l’HNE. Car là aussi, la question des masses critiques est déterminante. L’HJB a trois fois moins d’employés que l’HNE mais forme six fois moins de médecins. Et comme les médecins s’installent souvent à proximité de leur lieu de formation, on comprend l’enjeu pour le canton de maintenir un hôpital de référence.

Sans concentration des activités, les experts considèrent qu’il y a un risque de disparition de l’HNE. N’est-ce pas trop alarmiste?

Le risque est de ne plus pouvoir disposer d’un hôpital cantonal de référence. Le Conseil d’État défend le maintien d’un hôpital public fort, avec des prestations offertes à tous sans discrimination.

La concentration de l’activité de réadaptation dans un Centre cantonal ne suscite guère l’enthousiasme dans les Montagnes, où il est souvent perçu comme un lot de consolation…

Avec ce projet, le Conseil d’État ne souhaite pas mettre un petit bout d’hôpital ici et là pour satisfaire chacun. Son premier constat, c’est qu’il est indispensable de concentrer les soins aigus et la réadaptation sur des sites spécialisés. Il en va de la pérennité de l’HNE comme hôpital cantonal, de la qualité des soins, de la préservation de centaines d’emplois et de nos capacités à former la relève.

Ces missions cantonales, on aurait pu les mettre au concours entre les régions. Celles-ci se seraient démenées pour obtenir un site et cela aurait permis d’avoir des réactions plus positives. Par cohérence, nous avons préféré ne pas opposer les régions entre elles et assumer nos responsabilités en proposant une organisation fondée sur une analyse sérieuse et solide.

Il faut aussi arrêter de penser qu’un CTR n’est qu’un lieu de repos et de convalescence et n’est pas un hôpital. La réadaptation est une vraie activité médicale, pluridisciplinaire, avec un suivi pointu du patient dans le rétablissement de sa santé et de son autonomie. C’est aussi un lieu où l’on formera des médecins. J’ai récemment visité la clinique de réadaptation de la SUVA à Sion. Elle compte 130 lits et c’est un outil très intéressant et attractif pour les professionnels de la santé. Avec 180 lits (214 avec les activités liés à la psychiatrie), le site des Montagnes neuchâteloises serait pionnier. C’est d’autant plus important qu’un nouveau système de financement va entrer en vigueur pour la réadaptation en 2018 et qu’il faut se préparer à des conséquences comparables à celles découlant de l’introduction des SwissDRG pour les soins aigus. 

De manière plus large, la décision du Conseil d’État d’implanter le CTR cantonal dans les Montagnes s’inscrit dans sa volonté de concentrer les plus importantes infrastructures cantonales dans les deux pôles urbains. Il s’agit d’une organisation du territoire cohérente que l’on retrouve dans d’autres dossiers. 

C’est aussi une façon d’inciter les Villes de Neuchâtel et de La Chaux-de-Fonds à construire l’avenir ensemble. J’espère qu’elles percevront qu’elles seront les seules à conserver des missions hospitalières cantonales et seront des partenaires du Conseil d’État, même si les options présentées ne correspondent pas à la première idée qu’elles se faisaient de ce dossier.

Le projet du Conseil d’État prévoit aussi de désendetter l’HNE afin de lui permettre d’investir: pourquoi cela n’a pas été fait en 2006?
 

Je ne veux pas jeter la pierre à mes prédécesseurs. En 2006, l’État pouvait décider des montants qu’il allouait aux hôpitaux. Avec le nouveau régime fédéral entré en vigueur en 2012, ce n’est plus le cas. L’État doit désormais rendre des comptes pour les montants qu’il paie au titre de prestations d’intérêt général (PIG) et n’a plus la possibilité de verser des subventions à fonds perdus. La LAMal impose en outre que les hôpitaux financent eux-mêmes leurs investissements. La reprise par l’État d’une partie de la dette de l’HNE permettra de donner un nouveau départ à l’institution 10 ans après sa création. Je rappelle que cette dette est un fardeau supporté dès la création de l’HNE et n’est pas liée à des déficits d’exploitation: l’HNE a bouclé la majorité de ses exercices avec des bénéfices ou des comptes équilibrés. Par ailleurs, cette dette est déjà indirectement celle de l’État, qui est propriétaire à 100% de l’HNE.

Vous avez organisé plusieurs conférences publiques pour souligner que le système de santé ne se limite pas à l’hôpital. Comment expliquez vous la difficulté à faire passer ce message?

Cela fait 15 ans que le débat sanitaire cantonal est centré sur la question hospitalière, que ce soit sur le plan politique ou médiatique. En se focalisant sur les hôpitaux, on n’a pas accordé assez d’énergie à d’autres domaines pourtant au moins aussi importants.

Et en parlant sans cesse de l’hôpital, on a depuis 10 ans littéralement aspiré l’énergie du management de l’HNE sur des questions politiques. Quand on ne fait plus que ça, on n’a pas suffisamment de temps à accorder à la conduite interne de l’institution. Au nom du Conseil d’État, j’ai donc demandé à l’HNE de réorienter ses ressources pour évaluer concrètement les prestations qui sont les plus sensibles (l’accueil et le temps d’attente aux «urgences» par exemple), pour développer la qualité de vie au sein de l’institution, pour mieux prendre en compte les préoccupations et les propositions du personnel et l’associer à l’évaluation des prestations et aux évolutions souhaitées. Mais pour cela, il faut que le monde politique accorde une réelle indépendance de gestion à l’HNE.

J’espère sincèrement qu’on arrivera à apaiser le débat. Et c’est dans ce but que nous investissons autant à expliquer les enjeux sanitaires et hospitaliers à la population.

 

Bio express

Né le 19 septembre 1967
Originaire de Rütschelen (BE)
Département des finances et de la santé
Élu le 14 octobre 2012
Parti socialiste

Mandats politiques

2000-2004: conseiller général à La Chaux-de-Fonds
2004-2012: conseiller communal à La Chaux-de-Fonds
Membre du Parti socialiste neuchâtelois, section de
La Chaux-de-Fonds, depuis 1993

Citation

« Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre
le réel. »
Jean Jaurès