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« L’informatisation du dossier patient constitue un progrès considérable »

18.06.2019

Alend Saadi, médecin-chef en chirurgie est référent du projet SIC, pour système d’information clinique. Il souligne les avantages de la digitalisation du dossier patient, mené de concert avec l’H-JU et l’HJB

En 2009, l’Hôpital du Jura, l’Hôpital neuchâtelois et l’Hôpital du Jura bernois ont initié ensemble le projet SIC, pour système d’information clinique. Ce partenariat intercantonal a non seulement permis l’informatisation des données relatives à la prise en charge des patients des trois hôpitaux, qui emploient 5000 collaborateurs au total. Il a également insufflé un esprit de coopération et de collaboration entre institutions à l’échelle de l’Arc jurassien, tout en garantissant une bonne économicité grâce à la mutualisation des coûts et des compétences. Une trentaine de collaborateurs BEJUNE ont suivi le projet en continu sur les différents sites des hôpitaux partenaires.

La digitalisation du dossier patient a permis de structurer l’ensemble des données médicales au sein des trois institutions, de renforcer la sécurité des données et de réduire les risques d’erreurs médicales et de soins. Dans le passé, les ordres médicaux retranscrits successivement sur différents supports papier induisaient des risques d’erreur à chaque étape. Une traçabilité renforcée garantit une meilleure sécurisation du circuit du médicament. Le bilan d’Alend Saadi, médecin-chef en chirurgie et référent SIC pour le département.

HNE MAg: De quelle manière avez-vous participé au projet SIC?

Alend Saadi: Je suis arrivé à l’HNE en 2015, juste avant le déploiement du SIC en chirurgie. Comme j’étais déjà référent pour l’application Soarian aux eHnv, où je travaillais auparavant, on m’a demandé de reprendre ce rôle. Pour le déploiement, nous avons procédé par étapes: nous avons commencé par le dossier médical, puis le dossier infirmier et enfin le dossier ambulatoire, fin 2018. 

Quel bilan tirez-vous de la mise en oeuvre du SIC à l’HNE? 

Le bilan global est extrêmement positif, malgré quelques faiblesses fonctionnelles et une fluidité à améliorer. Carefolio a permis de mettre fin à une situation insatisfaisante, avec un dossier éclaté sur plusieurs supports. Il y avait un dossier papier bleu pour les soins infirmiers et un dossier papier rouge pour les soins médicaux. Il y avait aussi en parallèle des plateformes informatiques qui fonctionnaient en silo comme Domino ou le PACS. Cette dilution de l’information était vraiment problématique et peu fonctionnelle. En chirurgie, le patient est confronté à plusieurs environnements pour un même séjour: il y a les consultations ambulatoires, la prise en charge stationnaire, le bloc opératoire sans oublier tous les examens interventionnels qui sont réalisés durant le séjour (radiologie, endoscopie, laboratoire). Avant l’introduction de Carefolio, on perdait du temps et de l’énergie: il fallait aller chercher le dossier infirmier dans le bureau infirmier, le dossier médical dans le bureau des médecins assistants... Il n’était par ailleurs pas toujours facile de relire les notes manuscrites des collègues. Cela pouvait être très problématique, notamment pour la prescription de médicaments. Les sources d’erreurs possibles étaient multiples. En centralisant toute les informations médicosoignantes sur un seul support, Carefolio a nettement amélioré la qualité de l’information, la communication et donc la prise en charge des patients. Tout le monde a accès aux données, tout est clairement lisible. Il y a aussi certaines alertes pour éviter par exemple les médicaments doublons. Bref, c’est un progrès considérable.

 

« Avant l’introduction de Carefolio, on perdait du temps et de l’énergie »

 

L’introduction du SIC vous a-t-elle permis de gagner du temps au quotidien?

Non, le dossier informatisé n’a pas apporté de gain de ce côté-là. Au contraire: pour les petites interventions, on en perd. Pour introduire quelques données, il faut aller vers son ordinateur, se loguer avec un mot de passe, faire plusieurs clics... C’est très vite chronophage. Pour les interventions plus lourdes, avec beaucoup de données à rentrer dans le système, le ratio temps efficacité est meilleur. Il faut aussi faire attention au transfert de charge. Certaines choses qui pouvaient être éventuellement déléguées dans le passé ne le peuvent plus sans repenser le fonctionnement des services.

Quelles sont les différences avec d’autres systèmes, comme Soarian, utilisé par les hôpitaux vaudois?

C’est assez comparable, tous deux ont des avantages et des inconvénients. Je dirais que Carefolio est meilleur en matière de «workflow» (flux d’informations). En revanche, Soarian est plus abouti en ce qui concerne la fonction archivage. Je regrette que toute la Suisse romande ne se soit pas mise d’accord sur un même programme. C’est un tout petit territoire avec une forte mobilité des médecins. Quand vous changez d’hôpital, comme le font souvent les médecins assistants, c’est une difficulté: il faut à chaque fois refaire une formation pour s’approprier le nouvel outil. 

Quels sont les développements nécessaires pour rendre le dossier patient informatisé le plus en phase avec les besoins des professionnels de terrain?

Ce n’est pas tellement le logiciel qui doit évoluer, mais les supports que l’on a à disposition pour l’utiliser. Pour gagner en efficience, le dossier informatisé devrait être disponible sur tablette ou sur smartphone, avec une manière simple de se loguer. Cela nous permettra de gagner beaucoup de temps. Il faudrait aussi généraliser le VPN pour permettre des connections en dehors des murs de l’hôpital. Aujourd’hui, quand je suis en congrès par exemple, je dois appeler le collègue de garde pour avoir des informations sur un patient. Si je pouvais me connecter au SIC à distance, cela ne serait pas nécessaire. Je pourrais aller voir le labo d’un patient, corriger des lettres de sortie... Ce serait un vrai gain d’efficience.

 

« Pour gagner en efficience, le dossier informatisé devrait être disponible sur tablette ou sur smartphone »

 

Il faudrait aussi améliorer l’interconnectabilité avec les autres plateformes informatisées comme Opaleweb pour la facturation ou le RAP pour l’utilisation du bloc opératoire. De telles évolutions sont inévitables: comme les autres programmes comparables, Carefolio doit être mis à jour et amélioré en continu en fonction des évolutions et des besoins.

Bio express
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1976: Naissance
2006: Diplôme de médecin à Lausanne
2014: Spécialisation en chirurgie FMH
2015: Engagement à l’HNE
2016: Spécialisation approfondi en chirurgie viscérale
(sous-spécialisation) FMH
2016: DU prise en charge de l’obésité (Montpellier –
France)
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Citation
« Rien n’est permanent, sauf le changement »
Héraclite d’Ephèse

 

« Un défi technique et financier »

Le regard de Gianni Imbriani, chef du service informatique de l’H-JU

En quoi ce projet SIC représentait un véritable défi?

Cette aventure de 10 ans n’a rien de comparable avec les projets menés jusqu’ici par les trois hôpitaux. Nous sommes partis d’une feuille blanche, avec une équipe pluridisciplinaire, pour concevoir une application qui réponde à des besoins variés et très pointus. Les services informatiques des trois hôpitaux et du fournisseur, renforcés par du personnel médical et soignant ont réussi cette gageure. Le processus les a conduits à enchaîner les différentes phases: analyses, mises en consultation, validations, développements, tests, formations, puis l’accompagnement pour la mise en production. Le SIC a pris sa place au coeur du système d’informations des hôpitaux et il est interconnecté avec les systèmes administratifs et d’autres applications médicales, telles que le laboratoire, la cardiologie et la radiologie.

Pourriez-vous donner quelques chiffres pour donner une idée de l’ampleur du projet?

Il a également fallu former les médecins, les soignants et leur offrir un service de support 24h/24 et 7 jours/7, ce qui représente jusqu’ici près de 59’000 appels téléphoniques pour des aides ou des dépannages. Nous avons activé, toujours pour les trois hôpitaux, plus de 9000 comptes utilisateurs. Enfin, pour l’année 2018, nous avons créé près de 198’000 dossiers patients.

Est-ce que d’un point de vue humain, c’est aussi une réussite?

Absolument, ce projet a permis de fédérer les équipes bernoises, jurassiennes et neuchâteloises (dans l’esprit BEJUNE), autour d’objectifs communs et avec des enjeux institutionnels importants. Il s’agit sans aucun doute de l’un des plus grands projets informatiques hospitaliers et intercantonaux menés dans le nordouest de la Suisse, avec un budget global de plus de 4 millions de francs.

 

« Rendre le logiciel le plus intuitif possible »

Le regard de Jérémy Treiber, infirmier dans le service de médecine interne de l’Hôpital de Moutier et super utilisateur du SIC

Quel a donc été votre rôle dans le projet SIC en tant que soignant?

Tout d’abord, mon rôle a été de prendre en main le logiciel et d’apprendre à l’utiliser. Dans un second temps, j’ai dû réfléchir à comment faire pour uniformiser les pratiques de soins afin que le dossier patient informatisé puisse être rempli de manière la plus complète possible. Il a fallu tout repenser par rapport à notre façon de travailler au niveau administratif et réfléchir à comment exploiter au mieux le logiciel. J’ai également aidé l’équipe SIC à développer le logiciel pour que celui-ci soit le plus intuitif possible pour mes collègues.

Qu’est-ce que le dossier patient informatisé a apporté aux équipes médicales et soignantes dans la prise en charge des patients?

De manière générale, le dossier patient informatisé a apporté une prise en charge beaucoup plus détaillée et une transmission des informations plus fluide entre les différents professionnels. Grâce aux archives informatisées, le médecin accède en temps réel à l’historique du dossier médical car tout est désormais centralisé dans le logiciel. Des photos peuvent y être intégrées (p. ex.: des pansements) et nous pouvons suivre l’évolution des plaies et les visualiser, sans devoir passer par les archives papier des anciennes hospitalisations.

Comment votre rôle va évoluer maintenant que le logiciel est déployé dans tous les services? 

Comme le logiciel ne cessera d’évoluer en fonction de l’évolution des besoins de la médecine, il y aura toujours des mises à jour à effectuer, des bugs informatiques à résoudre (dus à la complexité du logiciel). Par conséquent, il faudra toujours nous former aux nouvelles fonctionnalités et former les nouveaux collaborateurs à l’utilisation du logiciel. Je resterai donc la personne de référence pour le service de médecine de Moutier.