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« La mucoviscidose touche désormais une majorité d’adultes »

24.12.2018

Le pneumologue, Alain Sauty, spécialisé dans le traitement de la maladie génétique la plus répandue en Europe détaille les modalités de sa transmission et les importants progrès dans sa prise en charge avec l’avènement de la médecine de précision. Entretien

La mucoviscidose est la maladie génétique incurable, la plus fréquente en Europe occidentale et en Suisse, où elle touche une naissance sur 2900. L’enfant malade doit avoir hérité de chacun de ses deux parents une mutation sur le gène CFTR (pour Cystic Fibrosis Transmembrane conductance Regulator). A l’HNE depuis 2018, le Dr Alain Sauty est pneumologue spécialisé dans le traitement de la mucoviscidose adulte. Très impliqué au-delà de sa pratique médicale, il est également co président du groupe médical suisse de la mucoviscidose, vice président de la Fondation pour la mucoviscidose et président de la Fondation Respirer. Il souligne les importants progrès réalisés ces dernières années dans le traitement de la maladie. Interview.

HNE MAg: Pourquoi vous êtes-vous spécialisé dans le traitement de la mucoviscidose?

Alain Sauty: Un peu par hasard. En 2000, peu après mon retour des Etats-Unis, alors que j’étais pneumologue au CHUV, le médecin qui s’occupait des patients adultes souffrant de mucoviscidose a quitté sa fonction. On m’a proposé de prendre le relai. En 2001, j’ai ouvert une consultation spécialisée et engagé une infirmière et un assistant social pour s’occuper des problèmes financiers, familiaux et professionnels rencontrés par les malades. Par la suite, nous avons développé une équipe multidisciplinaire comprenant notamment une diététicienne, un physiothérapeute et une psychologue. A l’époque, la majorité des patients étaient des enfants et nous ne suivions qu’une quinzaine de patients adultes. Aujourd’hui, avec les progrès de la médecine, les adultes sont majoritaires et la moitié d’entre eux ont 40 ans ou plus.

 

« La détection précoce permet d’améliorer la survie et la qualité de vie des enfants malades »

 

Pourquoi la mucoviscidose est-elle aussi répandue?

4% de la population porte, sans le savoir, une mutation sur le gène CFTR car l’immense majorité des porteurs de la maladie sont asymptomatiques. Cela joue un rôle important dans la diffusion de cette maladie. Je vous donne un exemple: il y a des régions en Italie où les personnes qui le souhaitent peuvent se faire tester sans prescription médicale. Quand les deux parents sont porteurs, leur enfant a une chance sur quatre de développer la maladie. Le sachant, ils peuvent renoncer à avoir un enfant ou faire un test prénatal et pratiquer, le cas échéant, une interruption de grossesse. Cela permet de faire baisser le nombre d’enfants qui développent la maladie. Depuis 2011, le dépistage néonatal de la mucoviscidose a été introduit en Suisse. Il est intégré dans le test de Guthrie qui se pratique dès le 4ème jour de vie par le prélèvement d’une goutte de sang au talon et qui permet de détecter précocement neuf maladies métaboliques, hormonales et génétique. La détection précoce permet d’améliorer la survie et la qualité de vie des enfants malades.

Comment explique-t-on que la maladie touche majoritairement les pays occidentaux?

La mutation dite delta F508, qui est de loin la plus fréquente, existe probablement depuis 300 000 ans en Europe, mais elle est beaucoup plus rare en Asie et en Afrique. Pour vous donner une idée, au Japon, on rencontre un cas sur 30’000 naissances, soit 10 fois moins qu’en Europe. Le brassage des populations n’a pas encore conduit à une diffusion plus large de cette mutation. Ce qui est étonnant, c’est qu’une mutation aussi ancienne soit toujours aussi répandue. En effet, les hommes souffrant de mucoviscidose sont presque tous stériles et les enfants atteints ont longtemps été condamnés à mourir très tôt. Une hypothèse est que les sécrétions épaisses qu’elle induit offraient une meilleure résistance durant les épidémies de choléra, ce qui aurait renforcé la prévalence de la maladie notamment au moyen-âge.

Quels sont les traitements possibles pour les personnes atteintes de mucoviscidose?

La conséquence de la mucoviscidose est la déficience d’une protéine qui ne joue pas, ou mal, son rôle de canal ionique permettant le transport des anions chlorure et le contrôle des flux de sodium et de bicarbonate à travers les membranes de cellules impliquées dans les sécrétions. En particulier, les bronches, la sphère ORL, le pancréas, le foie et le tube digestif sont touchés et endommagés par des sécrétions devenues beaucoup plus visqueuses d’où le nom de la maladie.

La nature et la gravité de ces anomalies sont variables suivant les mutations considérées. On parle donc de phénotypes (formes cliniques) liés aux génotypes (type de mutations). On observe des formes plus sévères de la maladie liées à des mutations qui affectent gravement la structure et la fonction de la protéine CFTR avec une évolution plus rapidement défavorables notamment au niveau respiratoire et digestif. Certaines mutations n’ont de conséquence que sur la sphère digestive, par exemple sous la forme de pancréatites récidivantes.

Les patients doivent donc se traiter tous les jours et cela comprend de la physiothérapie respiratoire avec de nombreux aérosols, des traitements antibiotiques réguliers, parfois à l’hôpital, des enzymes pancréatiques pour substituer la fonction déficientes du pancréas, des vitamines, des médicaments pour prévenir la constipation. Cela représente beaucoup de médicaments à prendre et de temps passé aux différentes thérapies. Pour les enfants, les parents sont évidemment très sollicités, et pour les adultes, il faut tenir compte de ces paramètres dans l’organisation de son travail ou de sa vie de famille.

Pour les maladies génétiques, on parle de plus en plus de médecine de précision…

Oui, c’est un domaine porteur de beaucoup d’espoirs, comme l’a souligné Barack Obama lors de son discours sur l’état de l’Union, en janvier 2015. L’idée est de traiter les gens en fonction de la spécificité de leur défaut génétique. Jusqu’à très récemment, la médecine n’a pu traité que les conséquences de la maladie. Lorsque le gène CFTR responsable de la mucoviscidose a été identifié, en 1989, on s’est réjoui de pouvoir développer une thérapie génique. Malheureusement, cette approche s’est montrée plus compliquée que prévu. Par contre, d’immenses progrès ont été faits dans le domaine des modulateurs du CFTR. En effet, il existe aujourd’hui des traitements qui permettent de restaurer partiellement la fonction de la protéine CFTR pour les mutations les moins sévères mais des médicaments seront prochainement disponibles pour la majorité des patients en fonction de leurs mutations. Il s’agit pillules à prendre à vie mais qui devrait considérablement freiner l’évolution défavorable de la maladie. C’est un exemple caractéristique de médecine individualisée et de précision.

 

« Au Japon, on rencontre un cas sur 30’000 naissances, soit 10 fois moins

qu’en Europe »

 

La greffe de poumons est-elle un impératif pour les cas avancés de la maladie?

L’atteinte pulmonaire est à l’origine du décès des personnes malades dans 90% des cas. La greffe pulmonaire, que l’on pratique depuis une vingtaine d’année, est donc souvent une nécessité pour prolonger la survie et la qualité de vie. Ce n’est pas simple de trouver le bon donneur: il y a des contraintes de groupe sanguin, mais aussi de taille. On peut réduire un poumon mais pas l’agrandir. Ces sont des interventions extrêmement spécialisées: les greffes chez l’enfant sont pratiquée à Zürich, celles pour les adultes au CHUV, à Lausanne.

Des thérapies géniques existent-elles pour le traitement de la mucoviscidose?

Le développement de ces thérapies rencontre beaucoup d’obstacles pratiques, avec notamment d’importants effets secondaires. Jusqu’ici, on n’a pas trouvé le moyen de faire une  correction génétique définitive, comme c’est le cas pour certaines leucémies. L’espoir existe, un consortium travaille sur cela en Angleterre. Mais ce n’est pas pour demain. Il y a aussi un espoir avec le développement de la phagothérapie. L’idée est d’utiliser des virus qui s’attaquent aux bactéries devenues résistantes aux antibiotiques. C’est un domaine qui suscite beaucoup d’espoirs mais ce type de traitement ne résoudra pas tous les problèmes infectieux mais pourrait aider dans certaines situations compliquées. Nous espérons pouvoir mettre sur pied une étude clinique dans le cadre de la mucoviscidose.

Le test à la sueur a longtemps été le seul moyen de diagnostiquer les enfants atteints par la mucoviscidose. Quelle est son origine?

On retrouve dès le moyen-âge des récits qui relatent l’histoire d’enfants dont le front était salé lorsqu’on les embrassait. Ces enfants, probablement atteint de mucoviscidose, mourraient très jeunes et on disait qu’ils étaient ensorcelés. Le sel est un indice: les personnes atteintes par la maladie ont une quantité anormalement élevée de chlore dans leur sueur. Cette observation fut vérifiée scientifiquement pour la première fois par le pédiatre Paul di Sant’Agnese entre 1948 et 1953 à l’hôpital général de New York. La mesure du chlore dans la sueur est devenue un test facile à réaliser et toujours utilisé d’ailleurs.

En 2013, vous avez reçu un prix de la Fondation BCV pour un projet de recherche visant à améliorer les performances de l’imagerie par résonnance magnétiques (IRM) des poumons. Cela a permis d’améliorer le dépistage de la maladie?

Non, l’objectif était de limiter l’irradiation des patients car, avec l’augmentation de l’espérance de vie, ils subissent un nombre très importants de radios et de scanners. Cela augmente leurs risques d’avoir un cancer dit radio-induit. Cette étude s’est faite en collaboration avec le service de radiologie du CHUV. L’examen par IRM reste encore insuffisamment performant pour une prise en charge clinique, mais des progrès substantiels ont été réalisés.

 

Bio express

1958: Naissance
1985: Diplôme de médecin à Lausanne
Spécialisation en médecine interne, pneumologie
et immuno-allergologie
Entre 1995 et 1998: Séjour de recherche à Boston
(Massachusetts General Hospital,
Harvard Medical School)
2005: Privat Docent et maître d’enseignement
et de recherche à l’UNIL

Citation
« Bien qu’on ait du coeur à l’ouvrage, l’art est long
et le temps est court. »
Charles Baudelaire