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« Le cancer du sein nécessite un traitement adapté à chaque patiente »

25.05.2018

 

Le cancer du sein est un problème majeur de santé publique. En Suisse, 1 femme sur 8 y est confrontée pendant sa vie. Il représente un défi majeur en Suisse: notre pays figure parmi ceux où l’incidence de cette pathologie est la plus élevée au monde. Swiss Cancer Screening recense 5300 nouveaux cas chaque année, c’est-à-dire un tiers des cancers féminins. Une lueur d’espoir dans ce tableau très sombre: les registres montrent que la mortalité liée au cancer du sein a diminué ces dernières années, avec un taux de survie de 82% à cinq ans. Cela place la Suisse parmi les nations où le pronostic est le meilleur pour cette forme de cancer.

La plupart des cantons disposent de pôles d’excellence dans le domaine de la sénologie, à l’instar du Centre du sein du département de gynécologie-obstétrique de l’HNE ouvert en novembre 2014 sur le site de La Chauxde- Fonds. Il a obtenu sa certification nationale en février dernier au terme d’un processus complexe. Rencontre avec sa directrice, la Dresse Marie-José Chevènement.

HNE MAg: En quoi un Centre du sein certifié permet-il une meilleure prise en charge des femmes atteintes d’un cancer du sein?

Marie-José Chevènement: La littérature médicale montre qu’une prise en charge pluridisciplinaire dans une unité de pointe améliore le taux de survie des patientes. En Suisse, des unités spécialisées se mettent en place depuis une quinzaine d’années. Le Centre du sein de l’HNE rassemble une vingtaine de médecins spécialistes dans des domaines complémentaires (chirurgie du sein, oncologie médicale, radio-oncologie, radiologie, pathologie, médecine nucléaire, chirurgie plastique et reconstructive, génétique médicale, soins palliatifs, unité de fertilité, psychiatrie). Il dispose également d’infirmières référentes et de physiothérapeutes.

Quelle est l’importance d’une certification pour une structure comme le Centre du sein?

C’est un label de qualité qui donne l’assurance à nos patientes qu’elles seront prises en charge par des spécialistes de leur domaine et que le traitement sera conforme aux standards internationaux. La masse critique est un critère décisif: on fait bien ce qu’on fait souvent, par exemple tous les chirurgiens du centre atteignent le nombre déterminé en ce qui concerne les opérations, certains d’entre nous plus de deux fois ce qui est requis. De même pour toutes les spécialités. Pour l’équipe, c’est aussi un grand motif de satisfaction: le Centre du sein a été structuré dès l’origine dans le but d’être certifié. Nous avons développé un très fort esprit d’équipe. C’est important, car la certification est un processus long et compliqué.

Combien de cas faut-il prendre en charge au minimum pour pouvoir revendiquer le label Centre du sein?

En Suisse, il faut pouvoir justifier 125 nouveaux cas par année. Les critères sont un peu plus stricts au niveau européen: il faut 150 nouveaux cas pour pouvoir être certifié. Mais nous serions aussi dans la cible: nous avons eu 190 cas en 2017. Nous devrions dépasser les 200 cas en 2018 et 2019, soit presque le même nombre que le Centre du sein du CHUV, à Lausanne. Il faut dire que contrairement à nous, ils doivent faire face à une forte concurrence du secteur privé. Avec 200-250 cas, c’est idéal. Je n’aimerais en revanche pas avoir un centre avec 400 cas. La qualité en termes de prise en charge individualisée serait moins bonne.

Quels sont les principaux facteurs de risque pour le cancer du sein?

Le premier est d’être une femme et de vivre dans un pays occidentalisé – la prévalence est beaucoup plus faible dans les pays émergeants. Après, il n’y a pas un cancer du sein, mais plusieurs. De manière générale, on peut dire qu’une longue exposition aux hormones augmente le risque. Cela inclut l’utilisation sur le long terme de la pilule contraceptive, mais aussi la puberté précoce ou la ménopause tardive. Selon les études, une première grossesse avant 30 ans est un facteur de protection, tout comme un allaitement de longue durée.

Quelle est l’importance de l’hérédité?

Les prédispositions génétiques expliquent entre 5% et 10% des cancers du sein. Les mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 sont en première ligne: ils favorisent les cancers du sein et des ovaires. Aujourd’hui, nous sommes à l’aube des détections. Nous soumettons nos patientes au questionnaire de la Société suisse de génétique médicale et sénologie. Si elles répondent positivement à une question, on leur propose de faire un test génétique de dépistage.

Quels sont les principaux changements qui sont intervenus dans la prise en charge de la maladie ces 15 dernières années?

On a bénéficié d’avancées majeures. Il y a d’abord eu l’introduction de nouveaux agents de chimiothérapie dans les années 1990. Leur utilisation a entraîné une nette diminution de la mortalité malgré la hausse de l’incidence des cancers du sein. Au début des années 2000, on a commencé à pratiquer l’immunothérapie, soit l’action de cibler les traitements selon les caractéristiques tumorales. L’utilisation des profils génétiques est le progrès le plus récent: ils nous permettent de cibler les chimiothérapies et d’évaluer le risque de récidive. Avant cela, quand une tumeur nous semblait agressive, que ce soit par sa taille ou par l’atteinte ganglionnaire, on surtraitait les patientes par chimiothérapie avec des effets secondaires non négligeables. Ces tests sont pris en charge par les caisses maladie depuis 2015 seulement.

Comment se déroule une prise en charge standard dans un Centre du sein?

Les patientes nous sont envoyées par leur gynécologue, leur médecin traitant ou viennent d’elles-mêmes. 37% de nos cas sont des cas qui sont diagnostiqués grâce au programme de dépistage BEJUNE: chaque patiente est vue par le sénologue, accompagnée par l’infirmière référente en sénologie. La présence de cette dernière est un atout majeur du centre. Elle est une courroie de transmission entre la patiente et tous les spécialistes qui viendront à elles. Elle joue en quelque sorte le rôle de tuteur durant toute la prise en charge. En fonction du diagnostic, la patiente reçoit un plan thérapeutique qui est validé par la conférence de concertation pluridisciplinaire (tumorboard). Après une consultation avec l’infirmière référente, qui lui explique ce qui seraentrepris, on commence le traitement. Dans 27% des cas, on commence par une chimiothérapie. Pour les autres, on opère d’abord. Les autres traitements proposés sont l’hormonothérapie, éventuellement immunothérapie ou la radiothérapie. Les traitements sont effectués dans des ordres différents selon les cas. Le cancer du sein est en effet une maladie hétérogène qui nécessite un traitement adapté à chaque patiente. On peut vraiment parler de prise en charge personnalisée. Enfin, le centre offre une prise en charge psychologique en collaboration étroite avec le Centre neuchâtelois de psychiatrie.

 

« Le Centre du sein doit impérativement être transversal et cantonal, indépendamment de son site d’implantation »

 

Moins de 30% des femmes qui ont subi l’ablation d’un sein optent pour la chirurgie reconstructive. Pourquoi le taux est-il si bas?

Beaucoup de femmes ne voient pas le bénéfice d’une reconstruction, notamment après 50 ans. Paradoxalement il arrive que les femmes plus jeunes demandent l’ablation complète (mastectomie) car elles pensent qu’elles augmentent leurs chances de guérison. Pourtant, rien ne le démontre sur le plan médical. Elles ont recours à la chirurgie reconstructive, mais pas toujours. A l’HNE, nous proposons toutes les techniques de reconstruction qui existent. Le chirurgien prélève par exemple des lambeaux de peau et de la graisse du ventre pour les rattacher au thorax. Jusqu’à présent, certaines techniques n’étaient effectuées qu’au CHUV par notre plasticien le Dr Bauquis. Avec le renforcement de l’équipe par le Dr Smeets, ces techniques pourront être effectuées ici. C’est une avancée majeure pour l’HNE. Il faut une courbe d’apprentissage très longue pour maîtriser cette technique.

Le cancer du sein touche environ 40 hommes chaque année en Suisse. Le traitement est-il le même que chez la femme?

Oui, le traitement est le même. Le plus souvent, les patients découvrent leur cancer par autopalpation. L’origine est souvent génétique. La maladie survient dans la cinquantaine. On effectue pratiquement tout le temps une mastectomie.

Comment appréhendez-vous les prochains mois, avec la possible scission de l’HNE en trois entités?

Le Centre du sein doit impérativement être transversal et cantonal, indépendamment de son site d’implantation. Coupé en deux, il disparaîtra. Les Neuchâtelois doivent bien comprendre cela. Aujourd’hui, on a la chance d’offrir une prestation de proximité pour les femmes du canton et au-delà avec de la chimiothérapie sur trois sites (Couvet, La Chaux-de-Fonds et Pourtalès). Si le centre est démantelé, nos patientes devront se faire opérer ailleurs. Quant à moi, je partirai. Etre gynécologue de campagne me va bien aussi.

 

Bio express

Née le 7 février 1964 à La Chaux-de-Fonds

Mariée et maman de deux enfants

Diplôme de médecin obtenu à la faculté de médecine de Lausanne en 1989

FMH en gynécologie et obstétrique Diplôme de sénologie de la SSGO

Master de sénologie par la faculté de médecine de Barcelone

Citation

« Ce qui compte ce ne sont pas les années qu’il y a eu dans la vie. C’est la vie qu’il y a eu dans les années »

Abraham Lincoln