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« Le projet de nouvel hôpital des Montagnes constitue une chance inouïe »

08.12.2016

Le président de la Société neuchâteloise de médecine, Walter Gusmini, souligne l’importance de la réorganisation spatiale de l’HNE qui sera soumise au peuple le 12 février prochain. Avec de nombreux collègues, il participera activement à la campagne

Médecin généraliste installé à La Chaux-de- Fonds, Walter Gusmini préside la Société neuchâteloise de médecine, qui réunit les quelque 470 médecins du canton. Il est favorable au plan de réorganisation spatiale de l’HNE qui a été accepté par le Grand Conseil début novembre et qui sera soumis au peuple le 12 février prochain. Entretien.

Walter Gusmini: Dans ce dossier particulièrement sensible, il est primordial d’obtenir l’adhésion du peuple, qui en sera le principal bénéficiaire. Il est nécessaire que le souverain comprenne quelles ont été les raisons qui ont conduit à certains choix, certes douloureux, mais inévitables à la lumière des réalités cantonales. C’est vrai en termes de ressources en personnel, de couverture du bassin de population et de contraintes économiques. Cela implique un réel travail d’information des professionnels de la santé auprès des Neuchâtelois pour sortir des guerres de clocher stériles.

Sans rouvrir le débat de 2013, certaines options du plan de l’époque ont été acceptées par le peuple sans qu’on en mesure réellement l’impact au niveau médical et financier. Je ne peux que me réjouir de la réflexion menée à ce sujet par l’HNE et du courage dont font preuve les autorités cantonales. Elles ont su aborder les sujets qui fâchent autrement que sous l’angle électoraliste dans un climat qui, il faut bien l’avouer, n’était pas des plus serein.

Comment appréhendez-vous ce nouveau vote populaire?

Les initiateurs du projet ont compris l’importance du travail d’information pour fédérer la population neuchâteloise. Le débat devra être basé sur des données factuelles en dehors de toute dérive émotionnelle. C’est à ce prix que le canton pourra avancer dans ce dossier pour sortir de la morosité actuelle et soutenir un projet novateur, original dans sa conception. Il a en effet été élaboré avec les gens du terrain régulièrement confrontés aux dysfonctionnements du système actuel, ce projet me paraît être un atout majeur pour garantir la qualité des soins apportés à la population. Je pense que la raison l’emportera, d’autant plus qu’à défaut de solution à cet épineux casse-tête hospitalier, la possibilité qu’il n’y ait plus de soins aigus dans le canton se préciserait de manière inquiétante.

En mars 2016, 4000 personnes se sont réunies à La Chaux-de Fonds pour «sauver» leur hôpital de soins aigus. Comme Chaux-de-Fonnier, quel regard portez-vous sur cette forte mobilisation?
 
En 2017, j’en serai à ma vingtième année d’exercice comme indépendant dans cette ville à laquelle je dois beaucoup. Je comprends parfaitement le déchirement et la sensation de trahison ressentis par une partie de la population chaux-de fonnière à qui on a fait miroiter des projets irréalistes. Certains habitants appartiennent à la génération qui a financé l’hôpital de La Chaux-de-Fonds par un impôt spécial et ressentent ces changements comme une confiscation de leur bien. Là encore, je suis convaincu qu’une information exhaustive sur les réflexions ayant conduit à l’élaboration du projet tel qu’il est aujourd’hui, est la pierre angulaire permettant l’acceptation de celui-ci même par la population des Montagnes.

Lors de cette manifestation, les instigateurs ont dénoncé une hypothétique volonté de démantèlement de l’hôpital de La Chaux-de-Fonds. Or c’est tout le contraire: le projet qui nous est présenté constitue une chance inouïe de pouvoir créer un centre de compétences du traitement des maladies chroniques que nous envieraient bon nombre de cantons romands. Cela représente l’opportunité d’avoir un centre de formation reconnu dans ce domaine et par ce biais y faire venir des professionnels de la santé qui pourraient dans un second temps s’établir dans la région. Cela à été mon cas il y a 20 ans, mais cela arrive de moins en moins souvent avec le psychodrame hospitalier que nous vivons depuis des années. Il est temps de passer à autre chose pour enfin avoir une feuille de route solide et rassurante pour la population et les employés de l’institution.

En mai dernier, la SNM a pris position à une nette majorité pour le projet de réorganisation spatiale de l’HNE. Le 1er novembre, des médecins sont venus distribuer des flyers aux députés pour les enjoindre à accepter le projet. Pourquoi la profession ne s’est-elle pas mobilisée plus tôt?

Nous avons longtemps hésité à prendre part au débat. Les avis étaient partagés au sein de notre société et les discussions sont allées bon train lors de nos deux assemblées consacrées à ce sujet au printemps 2016. Cependant, il nous semblait important que les médecins neuchâtelois se positionnent vis-à-vis de ce projet qui modifiera sensiblement leur pratique dans les années à venir.

Le comité de la SNM a souhaité attendre la proposition finalisée du Conseil d’État pour se prononcer. Celle-ci a fait l’objet d’une votation le 12 mai dernier. Sur les 100 membres présents, 71% ont adopté le projet, 23% l’ont refusé et 6% se sont abstenus. Nous avons alors décidé de communiquer publiquement notre soutien au projet en exprimant tout de même au Conseil d’État ainsi qu’à la direction d’HNE nos craintes concernant la période transitoire nécessaire à sa mise en place ainsi qu’à l’obtention de certaines garanties financières sur sa faisabilité. Nous avons reçu ces garanties.

C’est pourquoi, avec l’association Médecins de famille Neuchâtel (MFNe), nous avons décidé de soutenir le projet en distribuant des tracts lors de la dernière session du Grand Conseil. En tant que professionnels de la santé au front, nous voulions sensibiliser les députés à notre soutien au Conseil d’État dans sa démarche pour optimiser la couverture sanitaire dans le canton.

Le projet de construire un Centre de traitement et de réadaptation (CTR) dans les Montagnes est souvent perçu comme insuffisant. Quelles sont les qualités du projet, du point de vue de la médecine de proximité?

Il permettrait d’offrir une formation «clé en main» aux futurs médecins de premier recours. Cette discipline peut être enseignée dans un CTR, qui ne doit pas être considéré comme un lazaret, bien au contraire. Il faut en finir avec l’image de «l’hôpital qui sauve la vie». Ce serait une excellente opportunité pour les Montagnes neuchâteloises. Il comprendrait également un centre de diagnostic - une policlinique renforcée - dans lequel des médecins assistants avancés pourraient fonctionner en collaboration avec des médecins chevronnés dans le cadre d’un partenariat public-privé.

Le peuple se prononcera également en février sur l’initiative pour deux hôpitaux de soins aigus sûrs, autonomes et complémentaires comme contre-projet à la proposition validée par le Grand Conseil. Vous dites qu’elle est irréaliste. Pourquoi?

En raison de la dispersion des ressources en personnel, en compétences spécialisées et surtout parce qu’elle ne répond pas vraiment au besoin en soins de la population. Cette initiative véhicule la notion fallacieuse que tant que l’on maintiendra une structure aiguë à La Chaux-de- Fonds, les patients seront en sécurité. C’est un non sens car pour conserver deux structures de ce type sur notre territoire, il faudrait au minimum doubler les effectifs pour assurer une permanence. Au vu de la difficulté actuelle à recruter du personnel compétent cela paraît totalement illusoire.

Par ailleurs comme le disait un de mes patrons, on ne fait bien que ce que l’on fait souvent! Comment voulez-vous qu’un jeune chirurgien apprenne les gestes qu’il doit maîtriser pour exercer son art ou qu’un jeune généraliste appréhende les subtilités de la prise en charges d’un patient polymorbide s’ils n’ont pas l’occasion de répéter ces pratiques régulièrement?

Le maintien de deux sites de soins aigus prétéritera par la force des choses la venue de jeunes médecins qui n’auront pas l’occasion d’apprendre autant qu’ailleurs. En outre, l’initiative prévoit un cautionnement par l’État du financement des prestations. Or, avec l’introduction du nouveau système de financement par cas (DRG), ce n’est plus possible. L’initiative se heurte frontalement à l’esprit de la LAMal.

L’exemple de l’hôpital de Saint-Imier revient souvent dans le débat. Pourquoi n’est-il pas reproductible à La Chaux-de-Fonds?

L’hôpital de Saint-Imier fonctionne sur un modèle très différent de l’HNE. Il est situé dans le même canton qu’un hôpital universitaire, l’Insel, ainsi que d’un centre de plus grande importance comme Bienne. Il peut référer les cas complexes à l’intérieur du canton de Berne. Celui lui permet de fonctionner avec beaucoup de consultants extérieurs tant d’un point de vue chirurgical que médical, sur le modèle des cliniques privées. Ainsi, lorsqu’un accouchement ne se déroule pas aussi bien qu’il le devrait et qu’il y a une souffrance foetale ou que les soins à prodiguer au nouveau-né nécessitent une unité de néonatologie, les patientes sont transférées.

Il est impossible de calquer ce modèle au canton de Neuchâtel, car nous n’avons simplement pas la casuistique suffisante pour maintenir un hôpital de référence si l’on partage les mêmes missions sur deux sites. C’est particulièrement vrai pour les spécialités opératoires, car non seulement il sera difficile former de jeunes médecins mais tout aussi difficile aux médecins chevronnés de maintenir leur savoir faire s’ils opèrent moins. Ce discours tient évidemment aussi pour les équipes des soins ou des blocs opératoires. Nous serons donc obligés de transférer des patients hors canton pour des situations de moins en moins complexes. Je vous laisse juger de l’impact sur les coûts de la santé et de l’attrait de nos hôpitaux pour les jeunes en formation.

Quelle est votre vision de l’hôpital dans 30 ans?

Trente ans cela paraît loin mais en même temps c’est déjà demain. Bien malin qui pourrait affirmer savoir ce que sera l’hôpital de demain. Personnellement, je souhaiterais que l’hôpital sorte de ses murs et qu’il aille d’avantage au devant des patients. Qu’on en finisse avec cette vision hospitalo centriste omnipotente et omnisciente. La réalité du patient n’est pas celle de l’hôpital. Celui-ci n’est qu’un épisode dans la saga des soins, certes important, mais ce n’est qu’un épisode parmi d’autres. Je verrais l’hôpital, en tout cas un hôpital de la taille du nôtre, comme un lieu de formation et de sensibilisation à la pratique pluridisciplinaire ou les uns et les autres s’effaceraient devant le bien du patient.

 

Bio express

Né le 3 mars 1963 à Gazzaniga (It)
Marié père d’un garçon de 16 ans
Scolarité et études universitaires à Genève
Spécialiste en médecine interne générale
Président de la Société Neuchâteloise de Médecine
depuis 2014

Citation

« Ce n’est pas le plus fort de l’espèce qui survit,
ni le plus intelligent, c’est celui qui sait le mieux
s’adapter au changement. »
Charles Darwin