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« Les couples qui viennent nous voir ont des attentes importantes »

14.02.2020

Père de l’Unité d’infertilité née il y a juste 20 ans, le médecin-chef s’explique sur la procréation médicalement assistée, à l’origine d’une naissance sur 40 en Suisse. Entretien

RHNE MAG Dans la médecine de la fertilité, on imagine que la part d’émotionnel doit être importante…

PATRICK CHABLOZ Effectivement, dans les consultations il y a de l’émotionnel, c’est évident. Les couples qui viennent nous voir ont des attentes importantes. Il faut se rendre compte que certains arrivent chez nous après trois années de tentatives infructueuses… Il arrive aussi fréquemment qu’on nous adresse des personnes qui essayent d’avoir un enfant depuis deux ans. C’est trop tard, car il faudrait consulter après un an ! Plus le temps passe, plus la pression monte, plus l’anxiété gagne du terrain… Une grossesse qui ne vient pas suscite des tas de remises en question dans les couples et beaucoup souffrance. Aujourd’hui, une unité d’infertilité sans psychologue ne serait plus concevable : nous devons pouvoir proposer un soutien aux patientes et conjoints éprouvés par ce parcours.

A partir de quand parle-t-on d’infertilité ?

On la définit par une absence de grossesse après une année de rapports sexuels réguliers. Mais passés 35 ans, il ne faudrait pas attendre aussi longtemps, l’âge est un facteur déterminant. La médecine peut se battre contre des pathologies, pas contre l’horloge biologique… La fertilité féminine diminue à partir de 35 ans. En même temps, le risque de fausse couche augmente avec l’âge. Cela étant, les causes d’infertilité sont autant féminines (30%) que masculines (30%); dans 40% des cas, les problèmes proviennent simultanément des deux conjoints.

Quand les couples viennent consulter, que proposez-vous ?

80% d’entre eux nous sont adressés par le gynécologue traitant; les autres viennent d’eux-mêmes, sans en référer à leur gynécologue. Nous commençons par une anamnèse classique des deux partenaires, centrée sur l’infertilité. Cet entretien d’une demi-heure environ nous apprend souvent pas mal de choses. Ensuite nous effectuons des contrôles sur un cycle complet de la femme, avec 2 ou 3 échographies, ainsi que différentes investigations (examen des trompes, contrôle du sperme, etc.) Jusqu’à 80% des pathologies peuvent être identifiées lors de ces analyses. Dans les autres cas, nous devons soit pousser les recherches, soit opérer. Une pathologie que nous rencontrons de plus en plus fréquemment, c’est l’endométriose : elle est à l’origine de 30% des fécondations in vitro. On estime que 15 à 20% des femmes vont développer cette maladie.

 

«La médecine peut se battre contre des pathologies, pas contre l’horloge biologique »

 

L’Unité d’infertilité que vous avez créée a tout juste 20 ans. Comment s’est-elle développée ?

L’hôpital Pourtalès m’avait mis une salle à disposition et les consultations ont démarré en octobre 1999, petit à petit. J’étais seul au début. L’unité a grandi progressivement, avec d’abord une puis deux infirmières spécialisées. Aujourd’hui médecin adjoint de l’Unité d’infertilité du Réseau hospitalier neuchâtelois (UFN), le Dr Andrès Vuillomenet a rejoint l’équipe il y a dix ans . Une psychologue est présente à 20% et, depuis peu, nous pouvons proposer des consultations avec une spécialiste en sexologie. Nous pratiquons les investigations d’infertilité, la stimulation hormonale, des inséminations artificielles (110 en 2019, pour vous donner un ordre de grandeur) ainsi que les cycles de préparation à la FIV. Nous travaillons en réseau avec le Centre de procréation médicalement assistée (CPMA) de Lausanne, qui prend le relais à partir de la récolte d’ovocytes, pour finaliser les fécondations in vitro. Nous réalisons environ 60 cycles FIV par an qui ont abouti au transfert de 141 embryons en 2017 et 105 en 2018. Mais pratiquer le processus de A à Z à RHNe n’est pas envisageable, avec transfert d’embryons, car le coût serait trop conséquent pour un nombre d’interventions trop faible. Notre unité a désormais atteint son rythme de croisière. Le délai d’attente pour un premier rendez-vous est de 4 à 7 semaines, il reste stable.

La Suisse est plus pingre que nos voisins en matière d’infertilité. Qu’est-ce qui est pris en charge ?

Ce qui est embêtant avec l’infertilité, c’est qu’on parle beaucoup d’argent… Les investigations sont couvertes, pour autant qu’elles ne soient pas menées dans le but d’une FIV, qui n’est pas prise en charge par les assurances, comme on le sait. La LAMal rembourse le don de sperme (chez les couples mariés), douze cycles de stimulations ovariennes et 3 cycles d’inséminations par grossesse. Le problème, c’est que 3 cycles d’inséminations ne suffisent pas toujours, et l’indication médicale peut être bonne pour pousser jusqu’à 5 ou 6 cycles... Les couples dans cette situation se retrouvent confrontés à un dilemme : vaut-il mieux débourser 4000 CHF pour effectuer deux ou trois cycles de plus ou alors bifurquer vers une FIV qui leur coûtera autour de 10’000 CHF ?

Ces coûts élevés poussent-ils certains patients à se faire traiter à l’étranger ?

Ce sont principalement les couples en quête d’un don d’ovocytes (interdit en Suisse) qui se rendent dans un autre pays. Nous avons bien quelques patients qui ont effectué une FIV classique à l’étranger, en Espagne notamment où l’on peut se faire traiter pour environ 5000 CHF, mais ils ne sont pas si nombreux, car c’est compliqué. Les embryons sont conservés là-bas, ce qui implique que le couple devra faire plusieurs allers-retours. S’ils doivent y aller cinq fois, ça commence à coûter. Les patients qui l’ont fait m’ont dit qu’ils ne le recommanderaient pas.

Est-ce que vous pratiquez la congélation d’ovocytes dans un but préventif ?

Oui, cette technique appelée vitrification à but social est relativement récente; elle a vu le jour il y a 7 ou 8 ans. Nous l’effectuons dans deux cas de figure. En premier lieu, elle est proposée aux patientes jeunes chez qui l’on diagnostique un cancer, du sein principalement. Comme les traitements altèrent la fertilité, nous prélevons des ovocytes avant de commencer une chimiothérapie. L’intervention est pratiquée sous anesthésie générale et contrôle échographique. Les ovocytes sont ensuite congelés par vitrification et stockés dans de l’azote liquide. L’autre cas de figure concerne des femmes qui font le choix de préserver leur fertilité. Longues études, célibat prolongé, situation professionnelle… Pour diverses raisons, la maternité intervient toujours plus tard. Quand une femme craint d’être piégée par son horloge biologique, la vitrification est une option, mais elle n’est pas prise en charge par la LAMal. La période de conservation légale est fixée à 5 ans, renouvelable une seule fois pour cinq ans supplémentaires. L’âge idéal des patientes, d’un point de vue biologique, pour recourir à cette technique se situe à 28-30 ans. Mais quelle jeune femme songe à cela avant même d’avoir trente ans ? Encore méconnu, c’est un acte qui reste rare : dans notre unité, nous l’avons pratiqué quatre fois en trois ans.

 

Bio express

1964: Naissance à La Chaux-de-Fonds
1989: Diplôme de médecin, université de Lausanne. Spécialisation en gynécologie-obstétrique
Dès avril 1995: Se spécialise dans le domaine de la procréation médicalement assistée au CHUV auprès du Dr Marc Germond
1999: Création d’une unité d’infertilité à l’hôpital Pourtalès, Neuchâtel