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L’insomnie, le cauchemar de nos nuits

25.05.2018

 

L’insomnie touche un tiers de la population. Sa prise en charge nécessite une approche pluridisciplinaire qui associe la pneumologie, la neurologie et la psychiatrie. Pour répondre à une demande toujours plus forte, l’HNE vient de mettre en place une consultation spécialisée.

On se rend compte de l’importance du sommeil quand on ne dort pas, ou trop peu: on se sent fatigué, irrité, notre mémoire nous fait défaut et notre appétit est décuplé. Il occupe un tiers de nos vies et, on l’oublie souvent, c’est une activité absolument indispensable à chaque être vivant, au même titre que manger et boire. Dormir permet en effet à notre cerveau de se régénérer. Pendant la journée, l’espace entre nos cellules nerveuses représente 14% du volume du cerveau. Pendant le sommeil, ce volume passe à 23% et permet ainsi au liquide céphalorachidien (le «jus» de cerveau) de circuler plus facilement entraînant avec lui les toxines accumulées pendant l’éveil.

Les troubles du sommeil touchent environ un tiers de la population. Comme le souligne la Dresse Sandra Van den Broecke, pneumologue et spécialiste du sommeil à l’Hôpital neuchâtelois (HNE), «ils constituent un problème majeur de santé publique. Une forte fatigue, notamment consécutive aux apnées du sommeil, augmente de sept fois les risques de faire un accident de la route.» C’est aussi le cas pour les accidents du travail, comme l’a montré une étude de la Suva en 2017: environ 53 000 accidents professionnels par an en Suisse sont provoqués par des troubles du sommeil, pour un coût estimé à 283 millions de francs.

Dans ce contexte, l’HNE a décidé de créer une prise en charge pluridisciplinaire (pneumologique, neurologique et psychiatrie) des troubles du sommeil à l’intention des patients neuchâtelois. Depuis le début de l’année, la Dresse Van den Broecke propose ainsi une consultation de pneumologie dédiée aux apnées du sommeil et autres troubles respiratoires nocturnes. Mi-avril, l’HNE et le Centre neuchâtelois de psychiatrie (CNP) ont mis en place une consultation spécialisée dans l’insomnie donnée par la Dresse Gianina Luca, psychiatre, axe des thérapies cognitivo-comportementales.

Il s’agit de techniques de réapprentissage du sommeil, comme le contrôle des stimuli, la restriction temporaire du temps passé au lit, la relaxation et la thérapie cognitive.

 

« Une forte fatigue augmente de sept fois les risques de faire un accident de la route »

 

La présence de spécialistes du sommeil dans l’hôpital public répond à une demande très forte à laquelle il est aujourd’hui difficile de répondre: la consultation de la Dresse Van den Broecke est déjà complète pour les deux prochains mois. Les cas lui sont référés à l’interne de l’HNE, par des médecins généralistes et des spécialistes installés en cabinet mais aussi par la Ligue pulmonaire.

L’apnée du sommeil fait partie des troubles les plus fréquents. Dans 85% des cas, elle est liée à une obstruction des voies aériennes supérieures qui entrave la respiration (apnée obstructive du sommeil). Selon une étude récente du CHUV (Heinzer R. Lancet Respir Med. 2015), cette pathologie sous sa forme modérée à sévère concerne 49% des hommes et 23% des femmes vivant en Suisse. Elle nuit gravement au repos de la personne qui en souffre, en lien avec la diminution ou suppression de sommeil réparateur (le sommeil lent profond).

«Il y a une tendance du nombre de cas à la hausse, reprend la somnologue. Cela s’explique d’une part car on dépiste mieux, et d’autre part car le nombre de personnes obèses est en augmentation dans nos sociétés. Le surpoids est en effet un facteur souvent déterminant dans l’apparition des apnées obstructives du sommeil.»

Dans le cadre de sa consultation, la spécialiste du sommeil a pris en charge un patient de 36 ans qui était en arrêt de travail depuis fin janvier 2018. Fatigué, somnolent et sans énergie, il se croyait dépressif. Une polygraphie cardiorespiratoire réalisée chez lui pendant la nuit a mis en évidence qu’il souffrait d’un syndrome d’apnée obstructive du sommeil sévère. «Chaque soir, il avait peur de s’endormir car il se réveillait avec le sentiment d’étouffer, raconte la Dresse Van den Broecke. Depuis qu’il est traité, il dort à nouveau normalement. Du coup, il a pu recommencer à travailler.»

 

« Il faut compter aujourd’hui sur un délai de six mois pour obtenir une consultation dans un centre universitaire »

 

Les conséquences des apnées du sommeil non prises en charge peuvent être très graves. La multiplication des arrêts respiratoires, de la baisse du taux d’oxygène dans le sang et des micro-réveils représentent un stress majeur pour le coeur et le cerveau. Cela conduit à un risque important d’accident vasculaire-cérébral (AVC), d’infarctus, d’hypertension artérielle et de dépression. A plus de 15 apnées par heure, c’est même un facteur de surmortalité cardio-vasculaire.

De plus, l’apnée du sommeil non traitée modifie la morphologie du coeur. A long terme, ces modifications de structure sont probablement responsables d’une tendance à développer des arythmies cardiaques. Par ailleurs, une baisse des performances intellectuelles, notamment en termes de concentration et de mémoire, peut être constatée, tout comme une tendance à la somnolence.

L’insomnie peut également être causée par des facteurs psychophysiologiques, être associée à un facteur stressant aigu ou à un stress chronique, à une hygiène de sommeil déficitaire ou à une maladie organique. Elle est aussi de plus en plus souvent liée à notre mode de vie hyper-connecté, avec des sollicitations permanentes liées au développement des technologies numériques. Une étude de chercheurs américains menée dans trois tribus vivant loin de toute technologie a montré que le trouble n’existait pas parmi leurs populations, et même qu’aucun mot n’existait pour décrire le phénomène.

Face à ces troubles, les parades sont multiples. Certains optent pour la modernité, avec des applications et des outils technologiques à l’efficacité pas forcément validée médicalement (lire l’encadré ci-contre). Mais aussi, très fréquemment, par le recours aux somnifères. «Il s’agit d’une mauvaise solution à long terme, souligne la Dresse Gianina Luca. Il faut que l’on propose d’autres solutions, comme le changement du comportement afin de remplacer la pilule. Il ne s’agit pas seulement de régler la qualité et la durée du sommeil, mais de réapprendre aux gens à dormir.»

La Dresse Luca insiste sur l’importance de réinstaurer un sommeil physiologique. Cela passe par l’arrêt de l’utilisation intensive des écrans en soirée: «Les ordinateurs et autres tablettes émettent une lumière bleue qui inhibe la sécrétion de mélatonine, l’hormone qui participe à la régulation du rythme chrono-biologique et au déclenchement du sommeil. Dans certains cas, cela crée des troubles de l’horloge interne.» Cela fait partie du volet neurologique des troubles du sommeil, qui intègre également le traitement du somnambulisme, des terreurs nocturnes, des éveils confusionnels ou encore de mouvements anormaux nocturnes.

Plusieurs projets de développement de la consultation du sommeil sont à l’étude. Le volet neurologique de la prise en charge pourrait voir le jour d’ici 2020. Dès l’automne 2018, l’HNE proposera des vidéopolysomnographies surveillées nocturnes. Cet examen, beaucoup plus complet que la polygraphie cardiorespiratoire, permet d’analyser, outre le volet respiratoire, l’architecture du sommeil d’un patient pendant toute une nuit passée à l’hôpital. Il donne une vision extrêmement précise des troubles du sommeil tant neurologiques que respiratoires plus complexes. Cela permet, pour chaque patient, de recueillir d’autres variables physiologiques afin d’affiner le diagnostic somnologique.

La perspective, à plus long terme, pourrait être de développer un «centre de médecine du sommeil», offrant une prise en charge spécialisée pluridisciplinaire, couvrant les trois grands piliers de la médecine du sommeil: les troubles respiratoires nocturnes, les maladies neurologiques et l’insomnie. L’évolution de la fréquentation de la consultation du sommeil permettra à l’HNE de se positionner sur la question.

La Dresse van den Broecke souligne l’intérêt de pouvoir offrir aux Neuchâtelois une prestation de santé publique de proximité de qualité, dans un domaine où la demande excède largement l’offre: il faut compter aujourd’hui un délai de six mois pour obtenir une consultation dans un centre universitaire.