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La crise du COVID-19 a renforcé la solidarité au sein du RHNe

29.06.2020

Le Dr Olivier Clerc et le Dr Alain Bizzini ont été en première ligne tout au long de l’épidémie. Ils soulignent l’efficacité du semi-confinement pour freiner la diffusion du virus.

Spécialistes des virus, bactéries et autres pathogènes, les infectiologues interviennent dans tous les départements de l’hôpital, souvent dans l’ombre. La crise du COVID-19 les a propulsés sur le devant de la scène. Entretien croisé avec le Dr Olivier Clerc, chef du service d’infectiologie du RHNe, et le Dr Alain Bizzini, à la fois infectiologue au RHNe et directeur du département microbiologie de la fondation ADMED.

RHNeMAG - comment avez-vous vécu cette crise inédite de l’intérieur?
Dr Olivier Clerc -
Les évènements se sont déroulés extrêmement vite et nous avons dû prendre beaucoup de décisions en un temps très bref. Grâce à la collaboration de tous, l’hôpital a pu se préparer à temps et nous n’avons pas vécu la situation critique qu’ont connu certaines régions avant nous. Cette crise aura permis de créer des liens entre différents services et de renforcer la solidarité dans l’institution.
Dr Alain Bizzini - Sur le plan du laboratoire, il a fallu définir une nouvelle organisation, de nouveaux protocoles et trouver des ressources. C’est un gros travail, et les premières semaines ont été compliquées par la pénurie de réactifs PCR ou de frottis. En conséquence, nous avons dû valider 6 techniques différentes pour effectuer les analyses, et en utilisons encore plusieurs en parallèle. Le laboratoire travaille non seulement pour le RHNe, mais aussi pour la santé publique du canton, ce qui augmente notre charge de travail. J’en profite pour souligner l’engagement remarquable de l’ensemble du personnel du laboratoire de microbiologie. toutes et tous font aussi partie de la chaîne de soins!

Quelles sont les principales caractéristiques de ce nouveau coronavirus?
Dr Clerc - Le coronavirus SARS-Cov-2 entre dans les cellules humaines grâce à une «porte» bien précise: un récepteur présent à leur surface dénommé ACE2, impliqué dans la régulation de la pression artérielle dans l’organisme. Des chercheurs zurichois ont constaté que le virus s’infiltre par ce biais dans l’endothélium la paroi interne des vaisseaux sanguins de différents organes, comme les poumons, le cœur, les reins, le foie, l’intestin ou le cerveau. Le SARS-Cov-2 provoque alors une inflammation générale dudit endothélium, qui peut conduire à des obstructions vasculaires en déclenchant des phénomènes de coagulation (thromboses). Cela peut conduire à l’occlusion de veines et d’artères. une embolie pulmonaire, un accident vasculaire cérébral (AVC) ou un infarctus cardiaque peuvent survenir. L’entier du corps peut ainsi être touché. Ces phénomènes d’inflammation vasculaire expliquent pourquoi, en dehors des symptômes respiratoires typiques, on trouve parfois des atteintes variées, notamment une perte de goût ou d’odorat, voire une atteinte cérébrale.

Les personnes de plus de 70 ans sont particulièrement à risques: elles représentent plus de 90% des décès enregistrés au RHNe. comment explique-t-on cette fragilité?
Dr Bizzini - Avec l’âge, les systèmes respiratoire et cardiovasculaire se fragilisent. un virus comme le SARS-Cov-2 peut induire un effet domino aux conséquences dramatiques. Ce sont aussi des patients qui ont plus de risques de présenter d’autres facteurs de risque comme un diabète mal contrôlé, un cancer actif ou une faiblesse immunitaire.

Il y a un vif débat concernant la létalité du SARS- CoV-2. Tue-t-il vraiment plus que le virus de la grippe, qui fait environ 600 000 morts chaque année? 
Dr Clerc - Il s’agit d’un virus qui se transmet de la même façon que la grippe, mais il semble être un peu plus contagieux. La mortalité est en revanche nettement supérieure parmi les malades. Si les personnes jeunes et sans problème de santé préalable sont en général épargnées, on constate occasionnellement des infections graves, ce qui est très rare avec la grippe.

Le protocole de traitement a-t-il évolué au fil de la crise?
Dr Bizzini - Un peu, même si finalement il n’y a pas eu durant l’épidémie assez de données produites pour changer de façon fondamentale les concepts. On peut regretter qu’à l’échelle de notre pays, il n’y ait pas eu de coordination par rapport à des guidelines ou un protocole d’étude.

L’utilisation de chloroquine tout au début de la maladie, comme suggéré par le Prof Raoult, constitue-t-elle un traitement efficace?
Dr Clerc - Il n’y a malheureusement pas eu d’étude publiée avec un protocole optimal pour permettre de trancher cette question. Mais selon les études les plus récentes, il semble que la chloroquine ne représente pas un traitement décisif. Il reste toutefois des études en cours qui permettront, espérons-le, de répondre à cette question de manière définitive.

Fin mai, il y avait plus de 5,5 millions de cas confirmés dans le monde. A combien estime-t-on le total du nombre de personnes touchées par la maladie?
Dr Clerc - Il est difficile de répondre à cette question de manière précise en raison de politiques de tests très différentes. Certains pays ont des moyens limités, et ont donc procédé à très peu de tests. Dans ce cas, le nombre de cas positifs confirmés – et donc l’ampleur de l’épidémie – est largement sous-estimé.

En Suisse, nous avons longtemps limité les tests aux personnes vulnérables et aux soignants. En conséquence, le nombre de personnes qui ont été infectées est probablement 5 à 10 fois supérieur aux cas confirmés par un test microbiologique. Les études de séroprévalence permettront de mieux préciser quel pourcentage de la population a été en contact avec le virus. Il atteint près de 10% dans la région genevoise.

On peut faire le même ratio pour le canton de Neuchâtel, qui recensait 724 cas positifs fin mai?
Dr Bizzini - Très probablement, mais avec une nuance: la densité de population n’est pas la même, ce qui conduit vraisemblablement à une séroprévalence un peu plus basse. Il sera intéressant de voir si la Confédération veut donner les moyens d’analyser la séroprévalence en effectuant des pointages popuationnels dans tous les cantons.

Le confinement est-il «une mesure du moyen- âge», comme on a pu l’entendre dans le débat public?
Dr Clerc - Cette mesure reste d’actualité. Elle s’est avérée remarquablement efficace pour freiner la transmission. Au fil de l’épidémie, nous avons appris beaucoup sur la contagiosité du virus, pour découvrir notamment que la transmission survenait principalement par l’émission de gouttelettes à moins de 2 mètres, et que les patients pouvaient transmettre l’infection avant de devenir symptomatiques. Dans ce contexte, les mesures de confinement et de distanciation sociale deviennent essentielles. Nous devons par principe tous nous comporter comme potentiellement contagieux.
Dr Bizzini - Il s’agit d’une mesure raisonnable qui doit bien évidemment s’intégrer dans un processus plus large qui prend en compte les besoins de fonctionnement de la société. En se comportant de façon précautionneuse, on se protège soi-même, mais aussi les autres. Je pense que la responsabilité individuelle des citoyens est une composante majeure du succès dans le contrôle de l’épidémie, probablement aussi efficace que certaines solutions purement technologiques.

Aurait-on pu faire autrement sans la pénurie initiale de masques et de tests?
Dr Bizzini - La pénurie de tests initiale a été frustrante, mais tout le monde était plus ou moins à la même enseigne. Actuellement, on se retrouve dans une stratégie de contrôle de foyers émergents et les approvisionnements sont moins tendus, ce qui permet de travailler de façon plus sereine.
Dr Clerc - Grâce au travail acharné des personnes impliquées dans les achats de matériel, nous n’avons jamais été en situation de pénurie de matériel de protection. Le RHNe a ainsi été rapidement en mesure de fournir des masques à tous, ce qui a permis de diminuer fortement la contamination des collaborateurs. Fin mai, 89 de nos 2800 collaborateurs avaient été testés positifs. un seul n’avait pas encore repris le travail.

ADMED microbiologie a débuté l’évaluation de tests sérologiques. Quelle est l’importance de cette démarche?
Dr Bizzini - Entre les divers tests, le timing du prélèvement, le choix des anticorps à détecter, la porte est ouverte à de multiples malentendus. Pour le moment, il n’y a pas de test sérologique validé par l’Office fédéral de la santé publique, qui évalue les retours des études faites dans les centres universitaires. Nous n’avons pas les mêmes moyens logistiques dans notre laboratoire, mais nous conduisons des essais sur des sérums de cas positifs et des sérums antérieurs à l’épidémie afin de pouvoir évaluer aussi divers tests.

En raison de la prévalence basse de la maladie et de la spécificité des tests qui n’est pas de 100%, une proportion importante des positifs seront des faux positifs et devront être recontrôlés par d’autres techniques. En outre, il n’y a actuellement pas de données qui permette de conclure qu’un test positif signifie la présence d’une immunité protectrice, et quelle en serait la durée. A un niveau individuel, les tests sérologiques ne sont pas utiles pour le moment. D’ailleurs, les médecins cantonaux de plusieurs cantons, dont Neuchâtel, les ont interdits hors protocole d’étude. Des études de séroprévalence populationnelles débutent avec une coordination nationale. Une fois les protocoles définis, on devrait sans problème pouvoir mener des dépistages individuels.

Faut-il s’attendre à l’arrivée de nouveaux virus inconnus ces prochaines années?
Dr Bizzini - C’est une question importante. Aujourd’hui, tout le monde se focalise sur le coronavirus. on oublie que d’autres virus, bactéries, champignons ou parasites profitent de la globalisation, des changements sociodémographiques et climatiques pour étendre leur territoire et augmenter leur capacité de nuisance. L’important sera de pouvoir identifier et réagir le plus rapidement possible à l’émergence de ces nouvelles menaces. L’histoire actuelle montre qu’il faudra améliorer notre capacité de réponse à l’échelle planétaire.