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La réadaptation, au coeur de l’hôpital de demain

18.05.2016

La prise en charge des AVC et des autres pathologies dont la prévalence augmente avec l’âge se déroule en grande partie dans des Centres de traitement et de réadaptation (CTR). L’entrée en vigueur d’un nouveau système de financement, en 2018, imposera une organisation par filières spécialisées. L’HNE se prépare à cette révolution

Depuis quelques jours, Charles Maurer parvient à marcher seul. Avec un déambulateur, mais seul. C’est un progrès important pour le septuagénaire arrivé il y a un mois sur le site de Landeyeux après un accident vasculaire cérébral (AVC) et une prise en charge en urgence sur le site de Pourtalès. «C’est arrivé pendant la nuit, vers 5h du matin, raconte l’ancien administrateur communal de Villiers et du Pâquier. Je me suis réveillé, je n’avais plus de force, plus d’équilibre. J’ai très vite réalisé ce qui m’arrivait. Mon épouse aussi. Elle a téléphoné au 144 et j’ai été pris en charge très rapidement. Un élément déterminant dans ce genre de cas.»

Dans sa chambre illuminée de soleil, Charles Maurer mesure le chemin parcouru. «Au début je n’arrivais même pas à me lever. Ma situation s’est améliorée progressivement. Heureusement, je n’ai pas de déficit de mémoire. En revanche, je dois retrouver de la mobilité sur la partie gauche du corps. Cela va encore prendre du temps, mais les choses avancent. J’ai déjà pu passer deux week-ends chez ma fille qui a un logement de plain-pied. C’est encore trop tôt pour rentrer chez moi – il y a des escaliers sans main courante. Je dois retravailler les gestes de tous les jours afin de retrouver un maximum d’indépendance.»

Dans ce long chemin, le Vaudruzien est suivi par plusieurs professionnels, avec trois séances de réadaptation par jour. Ce matin là, Céline Métrailler, ergothérapeute, passe le chercher sur le coup de 10 heures pour une séance d’une demi-heure. «On adapte la prise en charge au cas par cas, selon les séquelles de l’AVC, explique la soignante. Une fois que le patient sort de son lit de manière indépendante, on passe à des exercices ciblés.»

Pour travailler la mobilité de son bras gauche, Céline Métrailler propose à Charles Maurer de mettre des bâtons de bois dans les trous d’un grand jeu de Solitaire installé sur ses genoux. Un exercice pas évident pour le patient. «On travaille le bras, mais aussi l’équilibre du tronc, précise l’ergothérapeute. Monsieur Maurer a encore des hésitations dans sa gestuelle, mais il a fait beaucoup de progrès.» Au point de pouvoir rejouer un jour au tennis de table, l’une de ses grandes passions? Le patient hoche de la tête. «Oulà, j’espère. Mais c’est un objectif à très long terme. Je n’y pense pas encore.»


 
« On a longtemps fait de la réadaptation générale, avec un seul médecin qui prenait en charge tous les cas »

 

Le cas de Charles Maurer illustre le grand défi des centres de traitement et de réadaptation (CTR): permettre aux patients qui ont vécu un épisode aigu de retrouver une autonomie et une indépendance aussi grande que possible grâce à une rééducation ciblée. La question se pose avec une acuité toute particulière pour les personnes de plus de 70 ans, une population en augmentation constante. Les hôpitaux, mais aussi le secteur ambulatoire et les soins à domicile, doivent repenser leur organisation pour faire face à «ce tsunami gris», selon l’expression de la Dresse Yolanda Espolio Desbaillet, cheffe du département de gériatrie, réadaptation et soins palliatifs (DGRSP) de l’HNE. Malgré cette évolution, la réadaptation reste mal vue et peu connue du grand public. Une situation qui doit beaucoup à la profonde transformation qu’a connu la médecine ces 15 dernières années, et pas seulement pour les soins aigus. «On a longtemps fait de la réadaptation générale, avec un seul médecin qui prenait en charge tous les cas, précise Yolanda Espolio Desbaillet. Peu à peu, avec le développement des sousspécialisations, les médecins sont devenus plus pointus dans des domaines précis, avec des connaissances de plus en plus spécifiques.»

 

« Avec trois sites de réadaptation de 30 lits, on ne peut pas assurer une prise en charge satisfaisante de tous les cas »

 

Cette tendance lourde a incité le Conseil fédéral à proposer de créer des filières spécifiques et d’introduire un nouveau système de financement sur le modèle des forfaits par cas à l’horizon 2018 (lire l’encadré des pages 8 et 9). La prise en charge d’une personne âgée (réadaptation gériatrique) diffère en effet de la prise en charge d’un patient qui a subi un AVC. Si le traitement des accidents vasculaires-cérébraux a considérablement évolué ces 20 dernières années, il n’est pas le seul. La gériatrie a elle aussi connu un processus de spécialisation. «A la fin des années 1990, il y avait des traitements standards pour les personnes âgées, détaille la doctoresse Espolio Desbaillet. Cela a beaucoup changé, notamment avec la création d’une sous-spécialisation «gériatrie» en médecine interne générale. C’est relativement récent: le premier examen de spécialiste en gériatrie remonte à 2004 seulement.»

La spécialisation implique une prise en charge pluridisciplinaire. Elle est facilitée par la concentration des activités, comme le souligne Yolanda Espolio Desbaillet: «Avec trois sites de réadaptation de 30 lits, on ne peut pas assurer une prise en charge satisfaisante de tous les cas. Sur le site de Couvet, par exemple, la moitié des patients répondent aux missions de gériatrie. L’autre moitié est là car ils sont domiciliés au Val-de-Travers. Ce n’est pas idéal pour la prise en charge des patients ni pour le recrutement des médecins.»

La Dresse Espolio Desbaillet donne l’exemple de la prise en charge d’un patient âgé hospitalisé suite à une chute. «Il aura bien sûr besoin de physio et d’ergothérapie pour retrouver sa mobilité. Mais il a peut-être aussi une maladie de Parkinson, ce qui nécessite un suivi neurologique. Ou de l’ostéoporose, ce qui implique une prise en charge par un rhumatologue. Ces compétences réunies n’existent pas aujourd’hui sous le même toit.» Comme tous ses collègues du DGRSP, Yolanda Espolio Desbaillet soutient le projet stratégique de l’HNE soumis à l’approbation de l’autorité politique. Il prévoit de regrouper toute la réadaptation sur un seul CTR à construire dans les Montagnes. «Il en va de la pérennité des prestations de réadaptation dans le canton», avertit-elle.

Le regroupement de la réadaptation cantonale sur un seul site permettrait aussi d’utiliser le personnel médicosoignant de manière plus rationnelle. La permanence 24h sur 24h sur trois sites impose de maintenir trois piquets nocturnes composés à chaque fois d’un médecin assistant et d’un médecin cadre. «C’est un énorme gâchis en terme de ressources, estime la cheffe du DGRSP. Cela complique l’obligation de respecter la loi sur le travail et le plafond de 50 heures par semaine.

La réorganisation et la spécialisation de la réadaptation constituent une priorité pour l’HNE, mais aussi pour les autres hôpitaux suisses. Avec une population de plus en plus fragile et polymorbide, la discipline va prendre une importance croissante dans le domaine hospitalier, en stationnaire ou en ambulatoire. L’évolution démographique ne laisse planer aucun doute à ce sujet: en 2060, le pourcentage de personnes âgées de 65 ans et plus atteindra 28%, contre 6,9% en 2010. Cette hausse entraînera une augmentation mécanique du nombre d’hospitalisations: les statistiques montrent que le risque d’AVC est trois fois plus élevé à 75 ans qu’à 65 ans.

 

Vers un nouveau système de financement

Le futur système tarifaire entrera en vigueur en 2018. Comme pour les Swiss-DRG, le remboursement des prestations se fera sur une base forfaitaire

Dès 2018, si tout se passe comme prévu, les soins de réadaptation stationnaires disposeront d’un nouveau système de financement inspiré des Swiss-DRG pour les soins aigus. Baptisé ST-Reha, le futur système tarifaire demandé par le Conseil fédéral définira des forfaits journaliers échelonnés en fonction du degré de la limitation fonctionnelle du patient et des prestations effectuées. 

Le remboursement des prestations par les assurances maladies impliquera une organisation par filières avec des critères d’admission et des programmes de traitement bien définis. Dans son projet institutionnel repris par le Conseil d’État, l’HNE prévoit de concentrer toute son activité de réadaptation et de suites de traitement sur un seul site à construire dans les Montagnes. Il accueillera quatre filières stationnaires reconnues par ST-Reha. L’HNE offre également des prestations de réadaptation cardiovasculaire et pneumologique, mais uniquement en ambulatoire.

Réadaptation musculosquelettique

La réadaptation musculosquelettique est destinée aux patients atteints de maladies des articulations ou de la colonne vertébrale, de troubles rhumatologiques inflammatoires, comme la polyarthrite, d’une perte des fonctions de l’appareil locomoteur suite à un accident, une amputation, une opération orthopédique des hanches ou des genoux, ainsi qu’en cas de syndromes algiques chroniques complexes.

Réadaptation neurologique

La réadaptation neurologique est destinée aux personnes atteintes de troubles neurologiques comme un accident 

vasculaire cérébral, une hémorragie cérébrale, un traumatisme crânien de tous degrés de gravité. Cela comprend aussi les patients qui souffrent de sclérose multiple, de la maladie de Parkinson, d’atteinte des nerfs périphériques telles que les polyneuropathies, le syndrome de Guillain Barré, d’hernie discale avec compression de la racine, et bien d’autres encore.

Réadaptation gériatrique

La réadaptation gériatrique est destinée aux patients âgés en général de plus de 75 ans. Leur particularité est d’être atteint de plusieurs pathologies concomitantes, d’être fragiles en raison de leur âge (diminution de l’état physique non imputable directement à une maladie précise, avec affaiblissement des fonctions cognitives, des muscles, une résistance physique moindre, une mobilité ralentie et une fatigabilité accrue). Surtout, ils présentent un ou plusieurs syndromes gériatriques (troubles de la motricité, risque de chute, démence, dépression, troubles alimentaires, incontinence urinaire, difficultés à voir et à entendre, problèmes de communication et états algiques chroniques).

Filière médecine interne et oncologie

La réadaptation en médecine interne et la réadaptation oncologique sont des méthodes médicales de réadaptation destinées aux patients atteints de troubles fonctionnels et de limitation de leur participation. Ces troubles résultent d’un grand nombre de tableaux cliniques propres à la médecine interne ou oncologique/ hématologique, de comorbidités ou de séquelles de traitements, en particulier d’interventions chirurgicales ou de chimiothérapies. Ils nécessitent une approche réadaptative coordonnée et pluridisciplinaire sous direction et surveillance médicale.

 

Un nouvel hôpital dans les Montagnes

Le Conseil d’État a repris à son compte le projet de CTR unique. Le Grand Conseil puis le peuple doivent encore le valider

Un nouvel hôpital de 214 lits, dont 179 pour l’HNE et 35 pour le Centre neuchâtelois de psychiatrie (CNP), à construire sur une parcelle à définir dans les Montagnes neuchâteloises. C’est le projet phare du plan stratégique de l’HNE repris à son compte mi-avril dans l’avantprojet du Conseil d’État. Devisé à 175 millions de francs, y compris 26 millions pour la psychiatrie, il devrait voir le jour à l’horizon 2022 sous réserve de l’approbation du Grand Conseil puis du peuple neuchâtelois. Pour Pauline de Vos Bolay, présidente du conseil d’administration de l’HNE, le regroupement de l’activité de réadaptation et de suite de traitement dans un seul CRT constitue une nécessité. «Ce serait une première en Suisse romande. A l’exception du bâtiment de la Suva pour les accidentés à Sion, il n’y a pas d’hôpital unique qui offrirait 200 lits de réadaptation. Ceci alors que la demande devient de plus en plus importante avec le vieillissement démographique en Suisse, et en particulier à  Neuchâtel. Dans ce contexte, la prise en charge des maladies chroniques, les suites de traitement et la réadaptation seront l’avenir des hôpitaux.» Le nouvel hôpital comprendra une aile avec un service d’urgences ouverts 24 heures sur 24 365 jours par année, un centre ambulatoire avec des consultations spécialisées (médecine, chirurgie, orthopédie, ORL, urologie, gynéco obstétrique) et une policlinique pédiatrique. Il disposera également d’un plateau technique diagnostique (radiologie, IRM, scanner) et d’une unité de lits d’observation de courte durée permettant d’accueillir les patients qui requièrent une surveillance (par exemple pour des problèmes respiratoires ou en cas d’épidémie de grippe).

 

« La réunion des forces permettra d’améliorer la prise en charge »

Le Dr Joël Rillot est coprésident de Médecin de famille Neuchâtel et coordinateur du cursus neuchâtelois de médecin de famille. Il souligne que le regroupement de la réadaptation sur un seul site constituerait un plus pour la formation

HNE Magazine: La concentration de la réadaptation sur un seul toit permettraitelle de rendre l’HNE plus attractif pour la relève médico-soignante?

Joël Rillot: Le regroupement sous un seul toit permettrait de limiter la charge de travail des médecins et des soignants et donc d’améliorer l’attractivité. Aujourd’hui, pendant la nuit, il faut des piquets et des gardes médicosoignants pour chacun des trois CTR. Ce n’est pas rationnel. La réunion de toutes les compétences sur un seul site permettrait également d’améliorer la prise en charge pluridisciplinaire des patients, ce qui est indispensable pour la réadaptation. Cela faciliterait aussi le respect de la loi fédérale sur le travail (LTr), ce qui est beaucoup plus difficile avec des structures éclatées.

Quel profil de médecins pourrait-on former dans un hôpital de réadaptation de 179 lits?

Un tel site aurait l’accréditation de la FMH pour former des médecins gériatres et des généralistes, ce qui n’était pas le cas  de du site de Couvet, par exemple. Avec 179 lits, on aurait aussi la taille critique pour engager des gens avec des compétences spécifiques. Cela permet d’élargir et de spécialiser la palette de prise en charge au niveau médical. Ce serait aussi vrai pour le personnel soignant, que ce soit les infirmières, les physiothérapeutes, les ergothérapeutes, les assistantes sociales, les infirmières de liaison, les psychiatres de liaison, etc. S’il est formé dans un tel centre de référence, un médecin s’installera plus volontiers à proximité. Il aura tout ce réseau qu’il connaît très bien sous la main pour la prise en charge complexe des patients gériatriques. C’est un gros plus. Personnellement, j’ai dû construire mon réseau moi-même. Cela m’a pris du temps.

La création d’un CRT cantonal peut-il faciliter l’installation des médecins généralistes dans les Montagnes?
 
Ce serait une jolie pompe. Encore faut-il trouver l’eau pour la faire fonctionner. +Le problème principal, c’est la pénurie de médecins de premiers recours au niveau national. Comme l’a souligné une récente étude de l’association Médecins de famille et de l’enfance Suisse, plus de 2000 nouveaux praticiens à temps plein seront nécessaires d’ici à 2020 rien que pour compenser les départs à la retraite. Ce chiffre dépassera même 4000 personnes en 2025.