RHNEmag

Le RHNEmag est le magazine du Réseau hospitalier neuchâtelois. Publié deux fois par an, il traite de la vie de l'institution et de la santé en général au travers de reportages, de portraits et d'interviews

> Voir tous les RHNEmag

Une journée aux urgences

08.12.2016

Le département des urgences de l’HNE assure la première ligne de prise en charge des patients neuchâtelois sur les sites de La Chaux-de-Fonds et de Pourtalès. L’imprévu constitue la règle, 24h sur 24h. Reportage

Jusque là, la journée avait été très calme aux urgences du site HNE de La Chaux-de-Fonds. Depuis sa prise de service, sur le coup de 8h, le Dr Paul Rutz, médecin-adjoint, avait supervisé quelques consultations de routine, avec notamment une femme enceinte présentant des douleurs abdominales basses. «Nous l’avons orientée vers la consultation de gynécologie», précise-t-il, afin d’écarter en premier lieu une anomalie obstétricale. Tout s’est accéléré entre 13h et 14h, avec l’arrivée quasi simultanée de deux ambulances, avec un accidenté de la route et une personne âgée souffrant d’insuffisance cardiaque. Deux cas pris en charge immédiatement par l’équipe médico-soignante.

C’est au coeur de cette agitation qu’Alexandre Guinand est arrivé à la salle d’attente des urgences, référé par son médecin traitant en raison de difficultés à respirer en lien avec une possible pneumonie. Classé par l’infirmière de tri comme une urgence 2, qui nécessite une prise en charge médicale dans les 20 minutes, le Chaux-de-Fonnier de 31 ans est rapidement installé dans un box et ausculté par le Dr Mhedi Belkoniene, médecin-assistant. Le monitoring met en évidence une tachycardie (rythme cardiaque trop élevé) et un taux d’oxygène dans le sang anormalement bas.

Pour l’oxygéner, le médecin lui met un masque à oxygène. Couché sur le dos, les mains jointes, Alexandre Guinand confie que cela fait déjà deux jours qu’il peine à respirer, d’où sa visite le matin même chez son médecin. C’est la première fois qu’il connaît un tel problème. «Je ne pensais pas que cela me mènerait aux urgences», souffle-t-il, le regard fatigué. Après une heure, les analyses tombent. Alexandre Guinand souffre d’une pneumonie bactérienne, probablement atypique. La deuxième gazométrie (examen qui permet de définir la fonction respiratoire de l’organisme) n’indique aucune amélioration de son état. De plus, le patient souffre d’une hémolyse, anomalie qui fait suspecter au Dr Belkoniene une pneumonie à mycoplasmes.

Après discussion avec le Dr Malinverni, chef du département de médecine et infectiologue de formation, les deux médecins décident ensemble de la stratégie thérapeutique (type d’antibiotiques à utiliser devant une telle suspicion) et d’hospitaliser le patient dans l’unité de soins continus. «C’est un cas assez rare pour un patient aussi jeune, précise le Dr Rutz. En général, le cas est traité de manière ambulatoire. Le risque est en revanche élevé pour les enfants et les personnes âgées.» Les analyses parvenues plus tard dans la journée confirmeront le diagnostic du Dr Belkoniene.

 

« Je dois y aller. Une résidante d’un home au Locle est victime d’un choc septique. Elle a besoin d’une prise en charge très rapide »

 

L’appel à l’expertise des médecins spécialistes souligne l’importance du réseau intra-hospitalier: ORL, neurologues, cardiologues et psychiatres sont souvent sollicités pour un deuxième avis médical. Comme ces médecins doivent également s’occuper des patients admis dans leurs services, il en résulte parfois un délai d’attente que les patients peinent à comprendre.

En ce début d’après-midi, Paul Rutz n’a pas le temps de souffler. Ce jour-là, il est aussi piquet SMUR, le bras préhospitalier de l’HNE. Alors qu’il vient de retrouver son bureau, il reçoit un appel de la centrale de la Fondation urgence santé (FUS), à Lausanne, qui gère les appels au 144 et aux deux autres numéros d’urgence du canton (lire l’encadré de la page 11). «Je dois y aller, précise le médecin en mettant sa veste. Une résidante d’un home, au Locle, est victime d’un choc septique. Elle a besoin d’une prise en charge très rapide.»

Mobilisable 24h sur 24, le SMUR dispose de trois équipages dans le canton, avec des départs à Neuchâtel, La Chaux-de Fonds et Couvet. Si, lors d’un appel au 144, certains mots-clés sont donnés (inconscience, douleurs thoraciques, asthme, etc.), l’opérateur professionnel envoie immédiatement un message vocal sur le bip d’une des équipes. Le SMUR n’est jamais appelé seul, il s’agit d’un appui médical pour les ambulanciers. Ces derniers peuvent également décider de faire appeler des hélicoptères de la Rega, selon la distance, la topographie des lieux et les types de pathologie.

Juste avant 16h, Paul Rutz fait son retour aux urgences de La Chaux-de-Fonds. «Nous avons finalement dû accompagner la patiente à Pourtalès, précise-t-il. Le choc septique, grave en soi, s’est compliqué d’un accident vasculaire-cérébral (AVC). Elle a été prise en charge aux soins intensifs, en étroite collaboration entre les intensivistes et neurologues. Elle devrait rester hospitalisée plusieurs jours.»

En cette fin d’après-midi, l’activité est redevenue tranquille. Seuls deux boxes de consultation sont occupés, dont un par  l’accidenté de la route du début d’après-midi. Il s’apprête à être transféré à l’Unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD), installée à proximité immédiate des urgences. «C’est un patient qui a fait un malaise au volant, détaille le Dr Rutz. Il souffre d’une plaie à la tête. Il a perdu connaissance et est confus. Il avait un taux d’alcoolémie au-dessus de la limite légale. Nous devons évaluer s’il est capable de rentrer chez lui à pied. Si ce n’est pas le cas, nous le garderons pour la nuit.»

 

« Nous avons beaucoup de consultations qui relèvent plus de la médecine générale que de la médecine d’urgence. C’est une tendance liée à la pénurie de médecins de premiers recours »

 

Installé dans son bureau avec ses quatre téléphones portables à portée de main (!), le Dr Rutz souligne la part très importante de cas non urgents qui arrivent dans les services d’urgences des hôpitaux suisses – environ 20%. «Nous avons beaucoup de consultations qui relèvent plus de la médecine générale que de la médecine d’urgence. C’est une tendance liée à la pénurie de médecins de premiers recours. Ce n’est malheureusement pas appelé à s’améliorer ces prochaines années.»

Pour le spécialiste, la maîtrise du flux des patients représente le principal défi des services d’urgences. La situation s’est améliorée depuis deux ans avec la mise en place d’une Voie verte et de la maison de la garde, qui prennent en charge les urgences non vitales sur rendez-vous. Les médecins de l’HNE qui assurent cette prestation sont remplacés les soirs de semaine, le weekend et les jours fériés par les médecins généralistes qui viennent faire leur garde sur les sites de La Chaux-de-Fonds, Pourtalès et Couvet (uniquement le week-end et les jours fériés). En échange de ce travail, l’HNE soulage les médecins de premier recours, après tri par la centrale téléphonique dès 18h. Le week-end et les jours fériés c’est une société privée, Médecin du Jura, qui assure les visites à domicile.

Le nouveau dispositif a permis d’alléger les services d’urgences et de réduire le temps d’attente pour les cas les plus bénins. Mais cela n’empêche pas les journées à rallonge dans un service où l’imprévu est la règle. «Le rêve de l’urgentiste est d’avoir des patients qui arrivent sur rendez vous, précise le Dr Rutz. Bien sûr, c’est par définition impossible. Toutes les journées sont différentes. C’est aussi pour cela qu’on fait ce métier.»

 

Le service d’urgences de l’HNE a six ans

Dans les hôpitaux suisses, les services d’urgences autonomes sont apparus dans le courant des années 2000, sur le modèle de ce qui se faisait déjà depuis plus de 30 ans aux Etats-Unis et en France

En une décennie, le nombre de patients traités chaque année aux urgences de l’Hôpital neuchâtelois a explosé, avec une augmentation de 60% entre 2010 et 2015. Cette croissance de la demande coïncide avec un changement de paradigme: à l’HNE comme dans plusieurs autres hôpitaux suisses, les services d’urgence sont devenus des entités propres, sur le modèle de ce qui existe aux Etats-Unis et de nombreux pays européens. «Jusqu’en 2010, nous n’étions pas un service en tant que tel au sein de l’HNE, précise le Dr Vincent Della Santa, chef du département des urgences. La prise en charge des patients était assurée par une collaboration entre le département de médecine et le département de chirurgie.»
 
Cette situation «était loin d’être optimale », souligne le médecin-cadre. «Les rôles et responsabilités de chacun étaient très cloisonnés. Les différents médecins et chirurgiens restaient d’abord rattachés à leurs services respectifs, alors que seul le personnel infirmier était formellement dédié aux urgences. Jusqu’en 2006, les médecins assistants étaient seuls dans le service. Selon le cas, ils appelaient un chef de clinique dans les étages qui avait tout son boulot en parallèle.»

La décision de changer de modèle est intervenue avec l’augmentation de l’activité et la prise de conscience qu’il n’était pas médicalement responsable de laisser de jeunes médecins seuls recevoir et évaluer des patients parmi les plus instables de l’hôpital 24h sur 24h. Avec l’engagement de médecins cadres dédiés en 2006 puis la création du département cantonal des urgences en 2010, le fonctionnement des urgences est plus transversal, inspiré du modèle anglosaxon, qui voit collaborer des médecins urgentistes, véritables «généralistes de l’urgence», et les différents spécialistes de l’HNE. Le domaine médical n’est pas le seul à s’être spécialisé. Il existe également une formation d’infirmier en soins d’urgence reconnue sur le plan fédéral depuis le début des années 2000.

Guerres de territoires

La mise en place du nouveau modèle puis la création en 2009 d’une nouvelle formation en médecine d’urgence au niveau fédéral ont engendré quelques frictions. «En Suisse, le concept de transversalité se heurte à de fortes résistances, relève Vincent Della Santa. Les guerres de territoires ont freiné le mouvement. Certains collègues nous ont accueillis avec réserve mais depuis quelques années, les mentalités ont évolué. La médecine d’urgence est actuellement une sous spécialité mais pas encore une spécialité à part entière, les grandes sociétés de spécialistes comme la médecine et la chirurgie ayant bloqué le processus au niveau fédéral. Mais selon moi, l’avènement d’une spécialité à part entière est inéluctable.»