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Le RHNEmag est le magazine du Réseau hospitalier neuchâtelois. Publié deux fois par an, il traite de la vie de l'institution et de la santé en général au travers de reportages, de portraits et d'interviews

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Vers un hôpital sans papier

24.05.2018

 

La révolution numérique constitue un défi majeur pour l’ensemble des acteurs de la santé. En première ligne, les hôpitaux sont confrontés à l’urgence de s’adapter. Immersion dans le service de neurologie de l’HNE

Des hôpitaux avec des médecins qui traitent leurs malades en s’appuyant sur le Big Data pour l’identification de facteurs de risque, l’aide au diagnostic ou le suivi de l’efficacité des traitements. Des patients pris en charge par des robots géolocalisés générant des flux optimisés et des temps d’attente réduits. Un dossier électronique du patient généralisé permettant au personnel médico-soignant d’avoir accès immédiatement à l’historique médical de chaque malade, profil ADN compris. De la science-fiction? A voir. Avec la convergence des nouvelles techniques de captage de données et la capacité d’analyses en temps réel, la révolution numérique offre un champ de progrès inédit pour le domaine de la santé. Elle permettra à court terme de voir se développer la médecine dite des 4 «P», pour prédictive, préventive, personnalisée et participative. Un progrès impensable il y a 15 ans qui induit aussi d’importantes contraintes, qu’il s’agisse de gérer et de sécuriser la multiplication des données numériques et de les faire cohabiter avec les pratiques professionnelles des médecins et des soignants. Comme les autres hôpitaux suisses, l’Hôpital neuchâtelois (HNE) n’est qu’au début du chemin. L’institution est en pleine informatisation de ses processus, un travail de longue haleine. Depuis 2009, l’HNE mène de concert avec l’Hôpital du Jura et l’Hôpital du Jura bernois le projet SIC, pour système d’information clinique. Déployé progressivement dans les différents services depuis 2013, il remplace progressivement l’ancien système Domino, qui ne parvenait plus à répondre aux besoins du terrain. Infirmier clinicien au sein du service de neurologie de l’HNE, Frédéric Schild souligne «les nombreux progrès» induits par l’informatisation des processus. «En 1999, quand j’ai débuté dans la profession, il y avait des dossiers de soins papiers que l’on appelait «kardex».

Cela impliquait un mode de communication par le papier pour la planification des soins durant la journée, qu’il s’agisse d’injections ou de pansements à faire, de perfusions intraveineuse ou de sondes à poser...» Les ordres médicaux retranscrits par la suite sur différents supports induisaient «des risques d’erreur à chaque étape». Sans traçabilité suffisante pour retrouver quand elle était intervenue. Avec l’arrivée du dossier de soins informatisé, les petites cartes de
planification de soins ont disparu. «Les ordres médicaux sont clairs et le risque d’administrer un mauvais médicament ou un dosage inexact à très nettement diminué, souligne l’infirmier. En parallèle, nous avons introduit un double contrôle pour l’administration de médicaments à risque. La sécurité s’est améliorée avec la numérisation, c’est incontestable.»

 

«Les ordres médicaux sont clairs et le risque d’administrer un mauvais médicament ou un dosage inexact à très nettement diminué»

 

L’informatisation des processus a permis d’autres progrès: elle améliore la continuité de la prise en charge entre les différentes spécialités et permet des échanges facilités entre partenaires de soins. Dans certains cas, elle permet de gagner du temps en limitant les ressaisies d’informations. «Avant, quand un patient quittait les soins aigus, on rédigeait un formulaire de transfert, précise Frédéric Schild. On l’envoyait par fax ou on le donnait au transporteur. Aujourd’hui, tout se
fait en un seul clic.»

La question sensible de la gestion du temps n’est pas toujours favorisée par la digitalisation. Cheffe du service de neurologie, la doctoresse Susanne Renaud reconnaît les facilités apportées par les nouveaux outils, mais souligne qu’ils lui font perdre du temps. «Je suis favorable au progrès, mais à condition qu’il nous facilite la vie. Ce n’est pas le cas avec le SIC, au contraire: il a augmenté notre travail administratif, en particulier en neurologie. C’est probablement parce que le SIC était conçu à la base plutôt pour le personnel soignant que pour la documentation et archivage médical. Le suivi de l’évolution du patient, ainsi que la correction des lettres de sortie prennent nettement plus de temps, aussi parce que le système invite et exige un certain perfectionnisme.»

 

«Selon une étude réalisée au CHUV, les médecins assistants passent 1,7 heure par jour en contact avec leurs patients et 5,2 heures derrière leur ordinateur»

 

La Dresse Renaud regrette que les systèmes soient différents selon les hôpitaux, «ce qui entraîne à une perte de temps énorme pour les nouveaux assistants». Elle cite une étude réalisée au sein du département de médecine interne du CHUV, à Lausanne, publiée dans la revue «Annals of Internal Medicine» en avril 2017. Elle met en évidence que les médecins-assistants passent 1,7 heure par jour en contact avec leurs patients et 5,2 heures derrière leur ordinateur. Selon la praticienne, «il faudrait qu’ils puissent s’appuyer sur des gens spécialisés qui entrent les données dans le SIC afin de
leur libérer du temps pour faire ce qu’ils font le mieux: la médecine.»

Frédéric Schild reconnaît cette difficulté: «Quand on a vu arriver l’informatique, on l’a un peu idéalisée. Cela prend du temps, en particulier au début. Le système est en évolution constante pour répondre aux besoins spécifiques des différents services. On a parfois un peu l’impression de courir derrière le train. Mais globalement, le bilan est positif. Je pense que c’est plus facile pour ceux qui n’ont pas connu le système papier. C’est aussi une question de génération.» L’infirmier, qui a la responsabilité de développer des protocoles de soins, juge que la révolution numérique a déjà modifié sa pratique quotidienne. L’utilisation d’un ergotron (ordinateur sur roulette) pour les visites médicales a entraîné une redéfinition du rapport entre l’infirmier et le médecin. «Avant, je relatais les chiffres des signes vitaux, les problématiques en cours et les traitements à venir. Aujourd’hui, le médecin a accès aux informations directement sur l’écran. Le rôle de l’infirmier s’est renforcé. Nous devons amener des éléments objectifs sur la prise en charge qui permettent d’orienter le traitement. C’est un enrichissement.» La numérisation des hôpitaux ne se limite pas au système d’information clinique. L’informatisation du bloc opératoire ou le développement de l’intranet – qui regroupe par exemple les protocoles de soins validés – constituent également des changements importants pour le personnel de santé. Et ce n’est qu’un début comme le souligne le directeur du CIGES Olivier Strub.

Il est extrêmement difficile de prévoir les incidences de la numérisation de l’hôpital à moyen et long terme. Une seule certitude: les coûts d’investissements seront très élevés. En 2015, le centre hospitalier de Cambridge, au Royaume-Uni, a prévu investissement de près de 300 millions de francs pour numériser l’activité de tous les services et digitaliser d’un seul coup toutes les fonctions hospitalières. Ce budget, aussi important que le coût de construction d’un nouvel hôpital, permettra au numérique de ne pas rester un simple accessoire, mais de révolutionner l’organisation et la gestion des soins. Ce virage permettra-t-il de faire des économies? Dans son ouvrage «Santé 4.0», Xavier Comtesse, mathématicien et ancien directeur du Think Tank Avenir Suisse, estime que l’intelligence artificielle, le Big Data
et les algorithmes auto-apprenants réduiront fortement les besoins en personnel – et donc les coûts. Selon lui, les médecins et les infirmières seront épargnés, mais ce ne sera pas le cas des autres acteurs de la branche. Les principaux concernés: les collaborateurs qui s’occupent actuellement des tâches administratives et les radiologues dont les compétences seront supplantées par les avancées de l’analyse numérique. La Dresse Renaud réfute cette vision, qu’elle perçoit comme très éloignée des réalités du terrain: «si les médecins et soignants doivent absorber seuls la révolution numérique, la médecine va se déshumaniser et nous allons nous épuiser avec un coût substantiel. Nous aurons absolument besoin de personnel administratif pour gérer le processus de numérisation 12 de manière intelligente.»