Un dispositif de crise réussi : interview du Dr Alend Saadi

Dr Alend Saadi

 

Comment assurer la prise en charge des opérations urgentes lorsque le Covid met l’hôpital sous pression ? L’étude Impact of the COVID-19 pandemic on the severity and management of acute appendicitis, menée par les Dr·e Marion Poget, Roland Chautems, Rémy Kohler, Michele Diana et Alend Saadi, s’est intéressée à la question à travers l’analyse de la gestion des appendicites aiguës au RHNe durant la pandémie. Publiée dans le journal scientifique Frontiers in Surgery, elle démontre que, malgré la fermeture partielle des blocs opératoires électifs et la réallocation de certaines forces des blocs et de la chirurgie aux unités Covid, le dispositif de crise mis en place au Réseau hospitalier neuchâtelois a donné pleine satisfaction pour cette pathologie emblématique des urgences. Le Dr Alend Saadi, médecin chef dans le département de chirurgie du RHNe et responsable de cette recherche clinique, détaille l’importance du résultat.

Pourquoi avoir choisi d’étudier la prise en charge des appendicectomies au RHNe durant les deux premières vagues Covid ?

Dr Alend Saadi : En mars 2020, lorsque le premier confinement a débuté, le sentiment général était que les gens craignaient de venir à l’hôpital par peur du virus, qu’ils attendaient le dernier moment pour le faire et qu’ils arrivaient donc potentiellement avec davantage de complications. Des études menées à l’étranger confirmaient ce sentiment. Nous avons voulu savoir ce qu’il en était réellement chez nous. Pour ce faire, nous nous sommes intéressés à l’appendicite aiguë, une maladie dont le traitement est encore largement chirurgical et qui représente 150 à 215 opérations par année au RHNe. Le dispositif mis en place pour continuer à prendre en charge cette pathologie malgré l’augmentation de l’activité liée au Covid était-il valide ? Avait-on pu opérer dans des délais raisonnables, et avec les mêmes résultats qu’avant la pandémie ? 

Comment avez-vous procédé ?

Le protocole de cette étude a été accepté par une commission d’éthique et le consentement des patient·e·s a été obtenu. Nous avons pris en compte les données des personnes de plus de 14 ans ayant subi une appendicectomie durant les grands pics Covid, lorsqu’il y avait des confinements partiels, c’est-à-dire au printemps 2020 et en fin d’année 2020. Nous avons considéré les deux premières vagues Covid afin d’avoir un nombre de cas suffisant. Cela n’a pas impacté les résultats, car il n’y a pas eu de différence notable entre la première vague, quand la peur du Covid était plus grande, et la deuxième. Afin d’établir une comparaison, nous avons utilisé les données des patient·e·s opéré·e·s pour cette pathologie aux mêmes périodes en 2019 et 2018.

Quels ont été les conclusions de l’étude ?

Nous avons prouvé que les gens n’étaient pas venus consulter plus tardivement pendant les pics du Covid et que, le délai entre leur arrivée et le moment où ils étaient opérés était semblable à celui des années précédentes. Il n’y avait pas non plus eu de décalage des opérations vers la nuit. En post-opératoire, les patient·e·s de 2020 n’avaient pas non plus eu plus de complications et n’étaient pas resté·e·s plus longtemps hospitalisé·e·s que celles et ceux de 2018-2019.

D’autres études comparables ont-elles été menées en Suisse ?

Avant la nôtre, il était sorti une étude dirigée par l’équipe du CHUV qui avait pris en compte les données de tous les hôpitaux vaudois pour les appendicites aiguës et les cholécystites aiguës à opérer. Mais à l’inverse de la nôtre, elle constatait la même tendance observée à l’étranger : les personnes venaient tardivement à l’hôpital. On arrivait à les opérer dans des délais raisonnables, mais il y avait davantage de complications parce qu’elles étaient arrivées dans des situations plus graves.

Comment expliquer les résultats diamétralement opposés obtenus dans les cantons de Neuchâtel et de Vaud ?

En comparaison avec l’étranger, notre étude souligne que l’absence de confinement total a sans doute favorisé la venue des patient·e·s à l’hôpital. Mais par rapport à l’étude vaudoise, on ne peut faire que des hypothèses. Peut-être que les gens ont mieux entendu ou compris que l’hôpital n’était pas fermé et qu’ils pouvaient quand même venir ? Ce qui voudrait dire que le message global du canton de Neuchâtel et du RHNe est bien passé. Ce qu’on peut dire avec certitude en revanche, c’est qu’à l’intérieur du RHNe, depuis les urgences et jusqu’aux unités de soins, le dispositif mis en place durant les pics Covid a donné satisfaction pour cette maladie à opérer en urgence.

Peut-on faire un parallèle avec d’autres prises en charge ?

Raisonnablement et par analogie, on peut penser que nos conclusions s’appliquent à d’autres pathologies à traiter en urgence ou en semi-urgence. Mais scientifiquement, on ne peut pas le prouver au moyen de cette étude.

Quelles leçons peut-on tirer de votre étude ?

On a testé un dispositif de crise qui, pour cette maladie emblématique des urgences, a répondu favorablement. En cas de nouvelle forte augmentation de l’activité hospitalière, ce modèle pourra donc être repris. Pour ce type de maladie, je précise, car un dispositif de crise a beaucoup d’aspects et c’est la vision d’ensemble qui permet d’évaluer l’action qui a été faite et d’éventuellement l’adapter. Par ailleurs, notre étude participe à créer un tableau global de ce qui s’est passé pendant ces périodes-là. Si elle avait montré que les gens étaient venus plus tardivement à l’hôpital, cela voudrait dire qu’à un endroit ou un autre, quelque chose avait manqué. Dans le cas présent, il y a de nombreux paramètres : cela dépend peut-être de la taille du canton, de la manière de communiquer, des supports de communication, etc. Pour finir, notre travail démontre aussi l’importance de continuer à faire des études dans les hôpitaux cantonaux qui reflètent la réalité clinique locale, parfois un peu différente de celle des hôpitaux universitaires ou à l’international.

Pour lire l’étude: Impact of the COVID-19 pandemic on the severity and management of acute appendicitis